« J’accuse », le précédent film de Roman Polanski, a réalisé 1,6 million d’entrées en France. Il offre au cinéaste franco-polonais son cinquième César du meilleur réalisateur, après ceux obtenus pour « Tess », « Le pianiste », « L’écrivain fantôme » et « Vénus à la fourrure ». Sorti en novembre 2019, le long-métrage a été précédé d’une avant-première en grande pompe sur les Champs-Élysées autour du cinéaste et de son acteur principal, Jean Dujardin, et est sorti dans 520 salles.
Ce mercredi 15 mai, « Le Palais » sortira dans seulement quatre-vingt-deux salles, selon Sébastien Tiveyrat, son distributeur, dont une seule à Paris (Studio Galande, un petit cinéma de 80 places). Sans aperçu. Sans affichage. Sans promotion. Et au lendemain de l’ouverture du Festival de Cannes, qui attire l’attention de tous les cinéphiles. «Je le sors en film patrimonial», précise Sébastien Tiveyrat.
A quoi ressemble ce film ? Une grosse meringue sucrée, étouffante et indigeste. Dans un palais suisse, le personnel s’affole car il ne reste que douze heures avant le passage à « cette sale année 2000 ». « La fin du monde n’arrivera pas », jurent-ils. Pendant que l’on déguste les boîtes de caviar à la cuillère, les clients arrivent.
De mystérieux Russes arrivent, flanqués de mannequins en manteaux de fourrure qui crient, se battent et déchirent leurs robes. Un ancien acteur porno, apparu dans « Sex Odyssey », « Pulp Friction » et « Sperminator », remue les femmes mûres défigurées par la chirurgie esthétique.
Fanny Ardant joue une « marquise » en tenue fluo
Un client VIP se retrouve dans un placard à balais. Il est incarné par Mickey Rourke, au teint caramel et aux lèvres pneus, dont la perruque jaune pisseuse s’envole lorsque le bouchon de champagne éclate. Tandis qu’un riche homme de 97 ans offre à sa femme de 22 ans un pingouin en cage, Fanny Ardant incarne une « marquise » aux vêtements fluo qui s’évanouit en sentant les crottes de « Mr Toby », son petit chien. , posé sur son lit. Un chirurgien esthétique examine son chien, envisage d’examiner les selles de l’animal et celles de son propriétaire et diagnostique la présence de vers chez le chien. « J’ai des vers ? », s’affole la marquise…
Plus tard, M. Toby trouve un vibromasseur dans le sac de sa maîtresse, qu’il brandit devant un plombier séduisant. « Sont-ils tous devenus fous ici ? », demande opportunément un personnage. Le nonagénaire offre un collier à sa jeune épouse et lui demande : « Ai-je droit à ma pipe maintenant ? » Il décède quelques instants plus tard, « coincé » dans sa compagne. Un autre habitant lâche : « Je lui ai fait sa première vraie pipe et il ne me regarde même pas : c’est ce que l’argent fait aux gens. »
Dans les toilettes, Mickey Rourke regarde l’acteur porno : « Je suis content de l’avoir vue de mes propres yeux. Vous avez un monstre là-bas. Est-il vrai qu’elle est assurée pour 5 millions de dollars ? (…) Finalement, on peut toujours rejoindre un cirque. » Jamais vraiment drôle, ce festival de cynisme et de vulgarité se termine sur des fragments de verre et de confettis et sur un gros plan du chien de la marquise sodomisant consciencieusement un pingouin.
« C’est complètement fou : il faut le voir au deuxième ou au troisième degré »
Vingt-quatrième film de Roman Polanski, aujourd’hui âgé de 90 ans, « Le Palais » a failli ne pas sortir en France. Tourné après la révélation d’une cinquième accusation de viol contre le réalisateur, celui de la photographe française Valentine Monnier, et la polémique qui a entouré le César du cinéaste, le long métrage est une coproduction franco-italo-suisse-polonaise.
Mais la seule société française qui l’a cofinancé était RP Productions, la propre société de Polanski. Présenté hors compétition à la Mostra de Venise en septembre dernier, « Le Palais » a ensuite été critiqué par la critique.
Le magazine américain « Variety » a évoqué le « silence de mort » dans la salle de projection, tandis que le journal anglais « The Guardian » conseillait de « prendre plusieurs verres » pour « soulager la douleur » pendant le visionnage du film. Les critiques français ont parlé de « naufrage », « d’échec monumental » ou « d’épuration immonde ».
Sorti fin septembre en Italie, puis en Russie, en Allemagne, en Pologne et en Espagne, « The Palace » a trouvé tardivement un distributeur : fin mars, on apprenait que Swashbuckler, société habituellement spécialisée dans les films de patrimoine (au moins dix ans), allait le sortir en salles.
« Personne n’en voulait », nous a expliqué Sébastien Tiveyrat, manager de Swashbuckler. J’ai proposé au producteur un prix, selon mes moyens, et il a accepté sans négocier. » Convaincu que Polanski était victime d’une « cabale », le distributeur s’était « sauté » sur le dernier film du « dernier génie vivant du cinéma » sans même l’avoir vu. Depuis, il l’a découvert et n’a pas été déçu, jure-t-il. « C’est génial ! Dans ce film, il y a Blake Edwards, Lubitsch, Ettora Scola, Visconti, Monty Python. C’est complètement fou : il faut voir ça au deuxième ou au troisième degré. »
« Polanski est un grand maître du cinéma, mais il est peut-être en fin de cycle »
« Les distributeurs ont eu les jetons, peut-être que les exploitants les auront aussi », prédisait pourtant Sébastien Tiveyrat il y a quelques semaines… En fait, les directeurs de salles ne se sont pas rués sur cette comédie. « Depuis #MeToo, plus personne ne veut de Polanski », assure un programmeur. » C’est quoi, Le palais ? » répond l’un des piliers des opérations en France.
« Entre exploitants, nous avons discuté de ce que nous ferions si les films de Jacques Doillon et Benoît Jacquot sortaient en salles, mais personne n’a parlé du film de Polanski. « Il n’y a eu aucun slogan, aucun boycott », poursuit cet expert. Cela fait plusieurs mois qu’on me dit que le film n’est vraiment pas bon. Polanski est un grand maître du cinéma, mais il est peut-être en fin de cycle. »
Xavier Orsel, exploitant de salles en région parisienne (Asnières et Etampes), à Mulhouse et à Marseille, avait programmé « J’accuse » mais il n’a même pas vu « Le Palais » : « Le thème de J’accuse (l’affaire Dreyfus) nous a obligés collectivement et le film était de qualité. Là, le contexte est totalement différent. La libération de Le palais est anecdotique. On ne m’a pas demandé ce film. » « Le distributeur a été très prudent en limitant le nombre de salles : il doit penser que le long-métrage a peu de potentiel commercial », assure un spécialiste. « Le film ne va pas exister », résume un programmateur.
Si la sortie de « The Palace » devrait rester discrète, on entendra parler de Roman Polanski pour une autre raison ce mardi 14 mai : le tribunal de Paris rendra sa décision après le procès en diffamation intenté par l’actrice britannique Charlotte Lewis contre le cinéaste, qui l’appelait son accusation de viol est un « mensonge odieux ».
Comédie franco-suisse-italo-polonaise de Roman Polanski. Avec Oliver Masucci, Mickey Rourke, Fanny Ardant, Joaquin De Almeida… 1h40.