Du procès d’Aix en 1978 aux viols de Mazan, « la honte a changé de camp »
Agnès Fichot se souviendra toujours de ce jour de 1977 où, diplômée il y a à peine trois ans, elle décrocha le téléphone pour appeler le cabinet de Gisèle Halimi, l’avocate la plus célèbre de France. La démarche lui semblait naturelle : elle avait envie de travailler avec elle, c’était aussi simple que ça. Elle connaissait son courage, son talent, son audace. Elle admirait sa volonté de provoquer de grands débats de société pour changer la culture et les mœurs, et pourquoi pas la loi. Et s’il y a quelqu’un qui incarne la cause des femmes, c’est bien elle, toute de passion et d’engagement. Elle qui a sauvé la vie de la jeune militante du FLN Djamila Boupacha, en dénonçant les tortures et les viols pendant la guerre d’Algérie. Elle qui a signé le Manifeste de 343 femmes en 1971 déclarant avoir avorté, malgré les risques encourus. Elle qui a fait du procès de Bobigny, en 1972, le grand procès de l’avortement, et a ouvert la voie à la loi Veil qui, deux ans plus tard, le légalisera. Bref, c’est auprès de cet avocat insoumis qu’elle a souhaité exercer son métier. Et personne d’autre.
La conversation était cordiale, la voix au bout du fil, coquette mais urgente. Agnès Fichot, 28 ans, a rappelé son premier stage auprès d’un ténor du barreau, Albert Naud, ancien résistant et grand opposant à la peine de mort, à qui il avait consacré un livre. Elle a ensuite expliqué sa volonté de travailler sur les grands enjeux liés aux femmes. Cela n’a pas suffi pour lui obtenir un rendez-vous, mais la porte n’était cependant pas fermée. Ainsi, quelques semaines plus tard, la jeune femme rappelle l’avocat. Elle insistait, argumentait. Cette fois, Gisèle Halimi lui a demandé de venir la rencontrer à son bureau de la rue Saint-Dominique. Et là…
« C’est drôle, » dit-elle aujourd’hui dans son bureau du boulevard Saint-Germain, à Paris.Je la vois encore descendre les escaliers de son appartement, vêtue d’une de ses robes fluides qui marquaient son apparence. Elle s’assoit sur sa chaise rembourrée et me fait signe de m’asseoir devant elle. Et nous parlons. Longtemps, librement. » Gisèle Halimi évoque le lien fort qui l’unit à son père, pourtant machiste, méditerranéen et de culture traditionnelle. Agnès Fichot trouve une similitude avec la sienne, chef de famille classique, dominant sa femme qu’il confine au foyer, mais soucieux que ses deux filles acquièrent leur autonomie financière.
Le courage d’un procès public
Gisèle Halimi parle de ses origines modestes à La Goulette, en Tunisie, où elle est née en 1927, de son dégoût viscéral pour l’injustice et de sa soif de défendre les femmes comme de se défendre. Agnès Fichot, élevée en banlieue parisienne, ressent une communion de pensées. Et puis elle aime « son élégance, sa culture, son goût du mot juste, sa féminité assumée »… Gisèle Halimi, 50 ans, comprend que sa jeune collègue féministe aux allures d’étudiante est prête à travailler jour et nuit sur ses dossiers. Elle l’engage sur-le-champ. D’ailleurs, ce nouveau collaborateur arrive à point nommé : un procès exemplaire se profile à Aix-en-Provence en mai 1978, que l’avocat entend bien « le grand procès pour viol ».
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