La fin du bodypositivisme ?
On pensait en avoir fini avec le diktat de l’ultra-minceur. Quand Ashley Graham, Lee précieux ou même Jill Kortlev sont devenus top modèle comme les autres, une nouvelle ère d’acceptation de soi semble émerger dans l’histoire des femmes. À l’hiver 2022, les données Tagwalk ont enregistré la présence de modèles Paloma Elsesser Et Alva Claire en treize et douze défilés respectivement. Un score qui vient confirmer le rapport de The Fashion Spot, selon lequel, depuis 2018, les morphologies n’ont cessé de se diversifier. Mais, lors de cette Fashion Week Printemps-Été 2025, tout change. « Les tendances s’orientent toutes vers des vêtements mini qui ne peuvent mettre en valeur que des corps très fins », analyse Anna Schlaifermannequin et professeur à l’École Duperré. Alors que les collections commençaient à intégrer les concepts d’inclusivité et de body positivisme, il a fallu compter cette saison sur quelques défilés de mode (dont Chanel Et Ester Manas) pour garantir que le style pour tout le monde, et que les mannequins grandes tailles, aient encore un avenir. « Il est impossible de dire qui est sous Ozempic mais tout le monde est devenu encore plus maigre », confie un directeur de casting avant de poursuivre : « on assiste à un vrai retour de la minceur comme tendance de fond, ça fait peur. » En effet, les normes relatives au physique des femmes suivent une courbe de tendance depuis plus d’un siècle. À partir des années 1920 et de la création du vestiaire féminin sportif, apparaît le mythe du corps parfait et tonique. Jusqu’alors, les femmes pouvaient recourir aux fameux trompe-l’œil que sont les corsets et les ceintures. Mais, en les libérant de ces carcans, la mode les a contraints à devenir ce corps sculpté, sans artifice. Ainsi, même si, en 2022, les modèles grande taille représentent près de 3 % des effectifs de la profession, les aléas des tendances suivent leur cours.
« On m’a dit que les grands ne vendaient plus », confie un créateur après une rencontre avec des acheteurs. Cela signifie-t-il que ceux dont la positivité corporelle est l’outil de travail obtiennent moins d’emplois ? « Cela faisait longtemps que je n’étais pas surpris par les disparités professionnelles entre les modèles maigre et modèle grande taille », dit Anna Schlaifer. Elle reste néanmoins positive : « Je travaille sur beaucoup de projets divers, dans la mode et au cinéma. Le phénomène Ozempic ne me rends pas tellement invisible. D’un autre côté, cela révèle une volonté sociale d’affaiblir les femmes. Nous avons commencé à être puissants, à revendiquer notre diversité et maintenant leOzempic vient plier les cartes. » Un renversement de situation qui s’observe dans la vie quotidienne de la communauté. « Un mannequin qui avait pris un kilo a cessé d’être réservé. L’incitation à perdre du poids parle d’elle-même. Mais lorsqu’une créatrice dit à un mannequin ultra-mince qu’elle est belle, les autres voient à quoi il faut ressembler pour obtenir le poste. Même les modèles grande taille (au-delà de la taille 48) ou entre (entre les tailles 38 et 44) ont énormément maigri”, s’inquiète la directrice de casting. En coulisses donc, tout se passe comme si l’héroïne chic, figure affamée et contestée des années 1990, revenait dans une version sevrée, faussement naturelle car biologiquement modifiée par toutes sortes de traitements médicamenteux. Un retour vers le futur qui ne profite à personne et remet en question ses origines.
La nourriture, un phénomène de mode
Les raisons du phénomène Ozempic sont multiples et ne peuvent être attribuées à la seule mode, qui dépend et imprègne de nombreux autres secteurs de l’image d’une visibilité sans précédent. Cependant, si l’on fait l’effort d’auto-évaluation, il faut reconnaître que l’industrie de la mode et de la beauté a continué à esthétiser l’alimentation plutôt que de la repenser en profondeur. Côté cosmétique, on a commencé à user et abuser du lexique alimentaire. Crème au miel, gelée visage, masque au caviar, gommage aux graines de fraise, lait corporel… Un amalgame alimentaire renforcé par la tendance des compléments visant à équilibrer l’hygiène de vie pour entretenir son physique grâce à la levure de bière, la fermentation des champignons, la gelée royale, etc. À l’ère du tout scientifique, la vision médicinale de la beauté provoque une confusion entre la nécessité de consommer de la nourriture et le fait d’ingérer des pilules ou des crèmes aux vertus potentiellement miraculeuses mais en aucun cas vitales. Comme le résumait déjà en 2010 le sociologue David LeBreton : « à défaut de nourriture, nous nourrissons notre peau. » La mode n’est pas en reste non plus. Les comestibles ont atteint un tel niveau métaphorique qu’ils ont progressivement empêché la prise de conscience de l’importance des représentations. En 2014, Moschino dévoile une collection automne-hiver mettant en vedette McDonald’stransformer des paquets de frites en sacs à main et des uniformes d’employés en mini-robes sexy.