Qu’est-ce que la traînée ? Un renversement de genre ? Une variation joyeuse et fluide sur ce que nous percevons de la féminité et de la masculinité ? Une performance époustouflante, des paillettes ou de la politique ? Un peu de tout cela à la fois. « Le drag n’a pas de règles, il n’y en a jamais eu »écrit Soa de Muse, candidate pour la première saison de Course de dragsters France et fondateur du cabaret parisien La Bouche, dans la préface du livre de la journaliste Apolline Bazin.
Des marges sociales et culturelles de la communauté LGBTI+ au médiathèque de la télé-réalité – Course de dragsters France entame sa troisième saison sur le service public ce vendredi 31 mai, alors qu’aux Etats-Unis, la seizième s’est achevée en avril – le phénomène drag élargit chaque jour un peu plus son audience. « Le drag va bien au-delà de la création d’un alter ego ou de la frontière du genreexplique Apolline Bazin. C’est un art de transformation de soi et du monde. C’est un art qui guérit et permet, aux personnes ayant vécu plus jeunes du harcèlement, de l’homophobie ou de la transphobie, de réparer quelque chose. »
A la recherche des souvenirs de drag
Telle une boule disco, les multiples facettes du drag scintillent au fil des pages de Drag, un art queer qui secoue le monde ! où plongent dans l’histoire du mouvement succèdent les portraits de ses icônes (RuPaul, Lady Bunny, Divine, etc.) et les rencontres avec ses nouvelles voix (la tornade Enza Fragola, le drag king Jay des Adelphes, Cheddar Magnifique ou Aaliyah Xpress, face à l’antiracisme).
La profondeur historique du drag, dont l’expression contemporaine est associée, par ses détracteurs, à l’opportunisme et à l’éphémère d’une mode, est l’un des aspects les plus intéressants de cet ouvrage. « J’ai beaucoup aimé me concentrer sur la période des années 1930, où, juste avant que ne sombre l’horreur de la Seconde Guerre mondiale, Paris était l’une des seules capitales à ne pas criminaliser l’homosexualité. Il y avait une vie nocturne riche et très créative », révèle Apolline Bazin. Paris où l’on va, après la guerre, au Carrousel, à l’Alcazar, à Michou, qui ravit le public avec ses spectacles transformistes et surannés, mais aussi à Madame Arthur, aujourd’hui parée d’une nouvelle jeunesse et dont les artistes parcourent les scènes françaises. , chantant exclusivement dans la langue de Molière. « Le cabaret, c’est cette invention française liée à la création de communautés LGBTI+ mais aussi à une certaine manière d’écrire, de se mélanger et de se réunir. »
Citons également, dans cette riche exploration de la mémoire du drag, les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence, des religieuses folles dont l’ordre, né à la fin des années 70 à San Francisco, compte aujourd’hui plus de quatre-vingts couvents à travers le monde. Leur rôle dans la lutte contre l’épidémie de VIH a été primordial.
Torrents de haine
À l’heure où le drag gagne en visibilité, intégrant pleinement la « pop culture », élargissant le spectre de représentation de la communauté LGBTI+, il est aussi la cible d’attaques plus nombreuses. Aux États-Unis, plusieurs États ont adopté des lois interdisant tout spectacle de drag devant des mineurs. Ils sont désormais contestés en appel.
En France, le choix d’une drag queen, Minima Gesté, pour porter la flamme olympique à Paris a provoqué des torrents de haine sur les réseaux sociaux. Plus récemment, la programmation d’un spectacle de drag queen dans un bar nantais a valu à ses organisateurs des menaces de mort, conduisant à son annulation. « Ce que drag révèle, c’est l’étendue du chemin qui reste encore à parcourir pour que l’acceptation de l’homosexualité ou de la transidentité ne soit pas soumise à une certaine respectabilité.explique Apolline Bazin. Le drag c’est joyeux, c’est « trop », mais il soutient aussi des lieux qui montrent qu’on n’est pas prêt à assouplir la définition des normes de genre et peut-être de virilité et de féminité. Ces discours de rejet servent un projet de société où les personnes LGBTI+ n’ont pas pleinement leur place. »
« Le Drag, un art queer qui bouleverse le monde ! » d’Apolline Bazin, aux éditions EPA. 45 €. « Drag Race France » saison 3, tous les vendredis à partir du 31 mai, à partir de 19h sur france.tv et à 22h55 sur France 2.