Donjons & Dragons fête ses 50 ans : le jeu de rôle connaît son nouvel âge d’or
« 5, 4, 3, 2… »
« Bonjour à tous et bienvenue à la Bonne Auberge, où la nourriture est délicieuse, les boissons sont fraîches et les aventures sont passionnantes… ». Le regard fixé sur la caméra, Lucien Maine récite la même introduction pour la quatrième année consécutive où il anime l’émission en ligne « La Bonne Auberge ». Sur le plateau d’enregistrement, les joueurs sont réunis devant le maître du jeu autour d’une table remplie de provisions, équipés de fiches de personnages et de quelques dés. Ils s’apprêtent à plonger dans une aventure de Donjons & Dragons :
« Vous descendez, vous entrez dans ce tunnel incliné et voyez ces bâtiments en ruine. Vous avez à peine fait quelques pas et derrière vous vous entendez un bruit étrange… » dit Lucien Maine.
« Donc il n’y a plus d’entrée ni de sortie ? » « Là, on est dans le noir », se demandent les joueurs à l’unisson.
« Vous êtes dans le noir… et devant vous vous voyez un feu. »
Le scénario que vivent les joueurs a été imaginé par l’acteur Lucien Maine. Il est le créateur de La Bonne Auberge et surtout le maître du jeu de cette aventure : « Un maître de jeu de rôle est à la fois le scénariste, le réalisateur, le scénographe, mais aussi celui qui joue tous les seconds rôles et tous les figurants. C’est lui qui veillera à planter le décor dans toutes les dimensions. »
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La fantasy, un genre devenu populaire
Né il y a 50 ans, le jeu de rôle Donjons et Dragons est redevenu étonnamment populaire ces dernières années. Cependant, dans les années 1970, le hobby souffrait d’une très mauvaise réputation : « Tout simplement, le genre fantastique était lié, à l’époque, à la contre-culture. Des campagnes étaient menées par des groupes religieux conservateurs américains, relayées avec complaisance par les médias, et de là est née une panique morale, que l’on retrouve également à propos de la musique « Metal ». »
Aujourd’hui, plus de 50 millions de personnes jouent à des jeux de rôle, Donjons et Dragons en tête. Un succès que le jeu doit en partie à l’avènement de la fantasy, explique l’historien médiéval William Blanc, co-organisateur d’un colloque intitulé « Vous êtes dans une taverne : retour sur 50 ans de jeux de rôle » : « La fantasy est devenue un genre largement accepté. Pour moi, le basculement a commencé en 2001 avec le succès du Seigneur des anneaux au cinéma. Il y a eu un effet boule de neige et cela s’est poursuivi, avec le succès de Game of Thrones par exemple. La fantasy est devenue « mainstream » et donc, concrètement, la culture geek, dans laquelle les jeux de rôle s’inscrivent parfaitement, devient largement acceptée.«
« C’est vrai qu’on est passé de « on est des satanistes qui invoquent des démons » ou « on égorge des vierges dans des caves sordides » à « on aimerait participer, même si on fait partie des « cool kids » » ajoute Lucien Maine. « Je pense que le changement s’est produit chez les gens qui n’étaient pas si cool que ça pendant leur adolescence et leur enfance, qui jouaient Donjons et Dragons. Ce sont des créateurs qui sont aujourd’hui en position de pouvoir ou d’influence, comme les co-créateurs de Stranger Things ou les créateurs de Game of Thrones par exemple. Ils ont vraiment joué à Donjons et Dragons. « Quand ils avaient douze ans… Quand j’ai commencé à jouer des rôles, j’avais neuf ans, c’était en 1989. Personne ne savait ce qu’était un elfe ou un gobelin. Maintenant, tout adulte qui n’a pas grandi sous un rocher sait ce que c’est. »
Un genre porté par le « jeu réel »
En plus des séries télévisées, les acteurs professionnels ont également commencé à diffuser leurs jeux de rôle en ligne. La chaîne la plus connue, Rôle critique dirigé par le maître du jeu Matthew Mercer, rassemble des doubleurs passionnés par ce jeu : « Ils jouent à Donjons et Dragons en direct sur Internet. Aux États-Unis, des millions et des millions de personnes le regardent chaque semaine. Il y a même eu une adaptation en série animée, « Vox Machina », sur Amazon Prime. » Lucien Maine explique.
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En 2021, des fuites de données de la plateforme Twitch ont révélé que la chaîne Critical Role était l’une des plus rentables de la plateforme, rapportant jusqu’à 9,4 millions de dollars par an. En France, ce type de diffusion en ligne, appelé Actual Play, s’est répandu ces dernières années avec Game of Roles, Rolen’n’play, Tablequest et bien sûr La Bonne Auberge.
« Le principe d’Actual Play est de jouer à un jeu de rôle filmé et diffusé en direct ou en différé sur Internet, soit sur Twitch, soit sur YouTube », dit Lucien Maine. « Nous diffusons des matchs en direct sur Twitch, qui durent entre 3 et 4 heures, puis nous les découpons en deux épisodes. Ce qui nous donne des épisodes hebdomadaires. »
Il y a près de neuf ans, un groupe d’amis a demandé au comédien de découvrir Donjons & Dragons : « J’ai donc créé une campagne qui s’appelle La Bonne Auberge, qui est à la fois un clin d’œil au film Le Grand détournement et à Donjons & Dragons, où un cliché dit que toutes les aventures commencent dans une auberge. C’était un groupe d’amis de 30 ans – il y avait aussi des femmes, ce qui était nouveau, car le jeu de rôle est un loisir où malheureusement, il y a longtemps eu peu de diversité – et ça faisait quelque chose de différent. Et je me suis dit que c’était tellement trop cool, que j’adorerais montrer ça. »
Depuis quatre ans, Lucien Maine a monté avec son frère Maxime « La Bonne Auberge ». Cette diffusion en ligne cumule, entre Twitch et YouTube, près de 60 000 abonnés et chaque vidéo est vue près de 30 000 fois. Et le succès de ces parties réelles n’est pas étranger au regain d’intérêt pour Donjons et Dragons : le format attire de nouveaux joueurs… mais aussi des joueuses.
« L’imagination est un refuge »
Dans La Bonne Auberge, l’auteure de bande dessinée Pénélope Bagieu incarne Corb Murphy : « C’est une barde flamboyante, une artiste au succès… mitigé, disons. Ses spectacles se terminent assez souvent en catastrophe, avec des incendies et des blessés. Le but de Corb est simplement de se faire connaître, elle n’a aucun doute sur son talent ! »
L’auteur de la Culottes n’était pas étrangère au monde des jeux de rôle lorsqu’elle a rejoint l’équipe de La Bonne Auberge : « J’ai commencé le jeu de rôle parce que j’avais une sœur aînée qui jouait au rôle. Je voyais des tables dans le salon de mes parents le vendredi soir, avec ma sœur, des voisins, des amis, qui jouaient au rôle ! Je trouvais ça génial. L’imaginaire était pour moi un excellent refuge et surtout une porte ouverte vers quelque chose de mieux, finalement, que mon quotidien de fille de seize ans. »
Pénélope Bagieu se souvient particulièrement des amitiés indéfectibles nées grâce à ce hobby : « Ce sont des amitiés vraiment assez atypiques pour des amitiés adolescentes. On construit quelque chose ensemble en faisant des campagnes dans lesquelles on vit des aventures, parfois toute la nuit. Et on a comme un petit monde secret qui nous est propre. Ce sont des gens qui ont beaucoup d’imagination, qui sont assez adaptables, qui font un peu d’improvisation (théâtrale). Et puis ils ont cette espèce de candeur aussi, je crois, d’accepter de vibrer totalement face à un dragon qui n’existe finalement que parce qu’on leur en parle. » .
Pour l’historien William Blanc, l’un des objectifs premiers du jeu de rôle est en fait « être ailleurs par rapport au monde moderne. On se retrouve dans un autre monde, un univers médiéval fantastique où l’on est un guerrier ou un magicien, dans des décors naturels où la nature est omniprésente. Il n’y a pas d’industrie, il n’y a pas de pollution. C’est l’exact opposé du monde contemporain et c’est ça qui est agréable en fait. »
Un nouveau public
Signe des temps, ces mondes imaginaires attirent de plus en plus de monde… et de nouveaux publics. Le confinement, notamment, a fait affluer de nouveaux acteurs.
Pour Pénélope Bagieu, « Depuis une quinzaine d’années, la sous-culture, la contre-culture, tout ce qui est « nerd » en fait, est devenu un peu cool. Il était logique que ce soit le tour des jeux de rôle. » . Pour l’auteur, si ce hobby a réussi, après de nombreuses années, à se débarrasser de cette image » « Chambre de garçon qui sent les chaussettes » c’est notamment grâce « à une féminisation du public, qui a contribué à le rendre acceptable et normal. »
Vendeur de jeux de rôle depuis plus de 20 ans, Eric Auger est le propriétaire de la boutique Starplayer à Paris. Dans le petit monde du jeu de rôle, Donjons & Dragons reste le moteur et représente jusqu’à 40% des ventes de ce média. Lui aussi a constaté, ces dernières années, l’arrivée d’un nouveau public : « On voit vraiment arriver de nouvelles générations, issues du lycée ou de la fac. Et maintenant, on retrouve des groupes de joueurs de 18 ans vraiment sympas, qui se sont aussi mélangés et se sont confiés à nous. Quand j’ai commencé, il y avait surtout des joueurs masculins et maintenant on va dire que la moitié sont des joueuses ! »
Pour l’enseigne, l’attrait d’une nouvelle génération pour Donjons & Dragons pourrait bien avoir une autre source : « Peut-être que le succès actuel vient aussi des parents qui jouaient à Donjons et Dragons quand ils étaient adolescents et qui font jouer leurs enfants à leur tour. C’est aussi une culture qui se transmet dans les familles. »
Comme si le jeu de rôle, après une longue traversée du désert, avait laissé derrière lui sa mauvaise réputation. Et qu’après un demi-siècle, il était enfin en passe de devenir « cool ».