Dix ans de révolution Maïdan, le jour où Kiev a « tourné le dos » à Poutine
- Ce mardi marque le dixième anniversaire de la révolution pro-occidentale du Maïdan en Ukraine.
- Des centaines de milliers de personnes se sont rassemblées de novembre 2013 à février 2014 pour protester contre la décision du président pro-russe Viktor Ianoukovitch de suspendre un accord d’association entre Kiev et l’Union européenne.
- Dix ans plus tard, l’Ukraine mène une bataille sanglante contre la Russie dans l’espoir de protéger son territoire et sa souveraineté, désir qui motivait déjà les manifestants d’Euromaidan.
Le froid et la mémoire enveloppent la place de l’Indépendance à Kiev. Devant les stèles alignées en face en hommage aux militants du Maïdan, de nombreux Ukrainiens, émus, ont déposé ce mardi des couronnes d’œillets jaunes. Dix ans après la Révolution de la Dignité – souvent surnommée Révolution Maïdan d’après le nom de cette place centrale, certaines jeunes femmes s’y rendent coiffées d’une couronne ukrainienne (vinok). Un emblème floral de l’identité ukrainienne qui fait écho à ces manifestations pro-européennes et à leur rôle essentiel dans le destin de l’Ukraine.
Car cet événement, qui a secoué le pays de novembre 2013 à février 2014, est « un tournant qui a complètement changé le cours de l’histoire du pays », assure Carole Grimaud, experte à l’Observatoire géostratégique de Genève et fondatrice du Centre. recherches sur la Russie et l’Europe de l’Est (CREER). Dès novembre 2013, des centaines de milliers d’Ukrainiens se sont rassemblés sur cette place pour s’opposer au président de l’époque, le pro-russe Viktor Ianoukovitch.
« Un souvenir d’unité, d’espoir et même de joie »
Le dirigeant a brusquement décidé de suspendre un accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne, provoquant l’ire d’une partie de la population. Après plusieurs semaines de protestation, il a ordonné à la police d’ouvrir le feu, provoquant la mort de près d’une centaine de manifestants. Une répression sanglante qui a enfoncé le dernier clou dans le cercueil du gouvernement et contraint le leader inféodé à Moscou à fuir le pays en catastrophe.
« Pour les Ukrainiens, Maidan est un souvenir d’unité, d’espoir et même de joie, au début, même si cela s’est terminé tragiquement », analyse Dorota Dakowska, professeur de sciences politiques à Sciences po Aix. Cependant, toutes les régions d’Ukraine « n’ont pas vécu cet événement de la même manière, la population ukrainienne étant très divisée », rappelle Carole Grimaud. C’était avant que l’invasion russe ne rassemble tout un peuple derrière son président et chef de guerre.
Volodymyr Zelensky s’est exprimé pour commémorer cet événement, faisant référence à la toute « première victoire » de l’Ukraine dans sa guerre contre l’envahisseur russe. « Les Ukrainiens voulaient décider de leur propre destin. Ce n’était pas le premier mouvement dans ce sens – on se souvient de la Révolution Orange en 2004, mais c’est lors de la Révolution de Maïdan que la population a compris qu’elle devait choisir entre la dépendance à l’égard de la Russie et un avenir tourné vers l’Union européenne », décrypte Dorota. Dakowska. « Ce jour-là, l’Ukraine a tourné le dos à la Russie », renchérit Carole Grimaud, qui ajoute que c’est pour cette raison que le soulèvement de Maïdan représente « un tournant européen » dans l’histoire récente du pays.
Le « point zéro » du conflit
Le poids symbolique de ce tournant vers l’Occident est d’autant plus puissant aujourd’hui que les Ukrainiens luttent pour leur survie. « Les Ukrainiens ont très vite payé le prix de cette exigence de rapprochement avec l’Union européenne », rappelle Dorota Dakowska. En avril 2014, moins de deux mois après la fin de la révolution de février, Moscou a attaqué le Donbass et annexé rapidement et illégalement la Crimée. « On peut considérer que le soulèvement du Maïdan est le début d’une longue guerre qui n’a jamais vraiment pris fin depuis 2014 », analyse Carole Grimaud qui ajoute « c’est le ground zero de ce conflit auquel nous assistons aujourd’hui ».
Mais aussi le point de départ de la volonté du gouvernement ukrainien d’intégrer l’Union européenne et l’Otan, dans l’espoir de se protéger définitivement des assauts impérialistes de Moscou. Les dix années du soulèvement de Maïdan sont aussi l’occasion pour Volodymyr Zelensky de rappeler à l’Union européenne combien les Ukrainiens espèrent la rejoindre. Ce mardi, le chef de l’Etat a demandé un « résultat » en décembre sur sa demande d’adhésion. Le président du Conseil européen Charles Michel s’est empressé de promettre qu’il œuvrerait pour convaincre les Etats membres, ajoutant que l’Union avait un « devoir moral » envers l’Ukraine.
« Prêt à mourir pour se rapprocher de l’UE »
«Le soulèvement de Maidan est essentiel pour comprendre le soutien que les institutions européennes offrent à Kiev. Il n’est pas courant de voir des gens prêts à mourir pour se rapprocher de l’Union européenne. Pour les valeurs de liberté et de démocratie qu’elle représente », souligne Dorota Dakowska, qui rappelle que plusieurs dirigeants européens se sont déplacés en 2013 pour rencontrer les acteurs de cette « Révolution de la dignité ». « C’était assez touchant pour les Occidentaux et notamment pour les Européens. On imagine mal les Français manifester pour un traité européen», sourit le professeur de sciences politiques.
Dix ans plus tard, Vladimir Poutine n’a pas oublié cet affront et a intensifié l’ampleur de sa guerre contre l’Ukraine. Face à ce constat, Kiev a choisi l’insurrection. De la place Maidan en 2013 à l’ensemble du pays aujourd’hui. «En Ukraine, il existe un dicton bien connu : ‘Si la Russie cesse de se battre, il n’y aura plus de guerre.’ Mais si les Ukrainiens cessent de se battre, il n’y aura plus d’Ukraine », conclut Dorota Dakowska.
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