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Distribution de tracts : 10 000 salariés Milee licenciés sans salaire

Distribution de tracts : 10 000 salariés Milee licenciés sans salaire

Sous l’impressionnante voûte du bâtiment qui abrite le ministère de l’Économie et des Finances, rue de Bercy, les feuilles rougissantes des jeunes arbres côtoient les drapeaux de la Fédération du livre, du papier et de la communication (Filpac) de la CGT.

Un grand baffle alimenté par un générateur bruyant crache une série de tubes dansants qui doivent parvenir jusqu’aux oreilles des équipes du ministère. Les passants, plongés dans ce camaïeu de rouge aux allures de foire, semblent loin de saisir le cauchemar qui lie les ouvriers vêtus de leurs chasubles à l’effigie du syndicat.

Car, pour les quelques salariés de l’entreprise Milee, anciennement Adrexo, spécialiste de la distribution de tracts, présents à Paris ce mardi 8 octobre, il ne s’agit rien de moins qu’un drame qui se joue depuis cet été. Alors que cette entreprise a été placée en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de Marseille le 9 septembre, certains de ses 10 000 salariés, en majorité âgés ou à temps partiel, attendent désespérément leur salaire depuis plusieurs mois. .

«On puise dans nos économies en attendant d’être payé»

Nadine1emmitouflée dans sa veste crème, observe l’attroupement de loin, adossée à une balustrade, l’épaule appuyée contre celle de son mari. Tous deux travaillent chez Milee, respectivement depuis quatre et huit ans, en tant que préparateur et distributeur à Nancy.

La liquidation judiciaire de l’entreprise a brutalement interrompu tous les revenus du couple, qui a toujours à sa charge son plus jeune enfant. « Heureusement, nous avions un peu d’argent de côté, alors nous avons puisé dans nos économies en attendant d’être payés »explique calmement le préparateur.

Pourtant, la situation est critique : le dernier salaire perçu par le couple remonte à juillet, et la situation les a obligés à revoir leurs projets de vie. « Nos économies devaient très prochainement servir à payer notre déménagement dans le Sud. Il est désormais en stand-by »ajoute le Nancyien.

« Mon homme va nous chercher à manger aux Restos du cœur »

Si Nadine et son mari tentent de faire bonne figure, et veillent dignement à ce que leur frigo « toujours plein » ne leur permet pas de porter plainte, certains de leurs collègues peinent à sauver la face. Marie-Ange, salariée à Roanne, laisse couler de nombreuses larmes derrière ses imposantes lunettes, secouée par des sanglots irrépressibles.

Mère de deux enfants, la distributrice, qui n’a plus touché un centime depuis le mois d’août, ne sait plus comment subvenir à ses besoins. « Mon homme, comme tous les mardis après-midi désormais, va nous chercher à manger aux Restos du cœur »elle halète.

Avec un salaire de 500 à 600 euros net par mois, son pécule est désespérément vide, et son moral est au plus bas. « Tout ce que m’a proposé Éric Paumier (le directeur général de Milee – NDLR), c’est un rendez-vous avec un psychologue. J’essaie de relativiser, les salaires seraient probablement bientôt payés par ordre alphabétique, mais c’est dur. On va finir comme les agriculteurs, on va se pendre quelque part.»elle respire, dépassée.

Des salaires impayés depuis des mois

Contrairement à Marie-Ange, peu de travailleurs présents au rassemblement se sont laissés submerger par l’émotion. Et pour cause : bien que Milee compte 10 100 salariés dans toute la France, de nombreuses personnes n’ont pas pu se rendre à Paris, faute de moyens.

En effet, certains des salariés concernés par un premier plan de licenciement, approuvé en juillet, n’ont pas reçu le moindre euro depuis ce mois-là. Les autres, bien que toujours actifs jusqu’à début septembre, n’ont plus été payés depuis août. La raison en est la lenteur des sociétés de liquidation et du système de garantie des salaires (AGS).

Cette dernière a pour mission de procéder au licenciement des salariés en leur versant leur rémunération, mais aussi le solde de tous leurs comptes et en leur remettant leur attestation d’employeur, condition sine qua non pour bénéficier des allocations de chômage. La rumeur court qu’il faudra attendre novembre, voire décembre, pour voir ces tâches se réaliser.

« Comment se fait-il qu’on laisse des gens mourir comme ça en France ? »

Pour Alexandra Dupuy, avocate de la CGT dans cette procédure, la situation est inédite. « A titre de comparaison, lorsque je m’occupais de Scopelec, deux sociétés de liquidation avaient été mandatées pour licencier 2 500 personnes. Aujourd’hui, nous avons le même nombre de liquidateurs, mais pour 10 000 salariés. Alors évidemment, il n’y a pas assez de moyens pour suivre les dossiers, faire des virements, transmettre les contrats de sécurité professionnelle à France Travail ! » s’énerve-t-elle, à deux pas du ministère.

Et d’ajouter en élevant la voix : « Les dégâts sont extraordinaires pour les salariés. Comment se fait-il qu’on laisse des gens mourir comme ça en France ? » Loin d’être un fantasme, cette hypothèse désastreuse est redoutée par les représentants syndicaux de l’entreprise de distribution.

« Si l’argent ne tombe pas rapidement, nous avons peur que certains fassent des bêtises. Nous avons le cas d’une famille de huit enfants qui ne peut plus se nourrir. Comment fait-on alors ? Les pouvoirs publics doivent agir »presse Sébastien Bernard, délégué syndical central CGT chez Milee.

Des choix stratégiques discutables

Avant d’arriver à ce sinistre résultat, salariés et syndicats espèrent donc que leur présence devant le ministère fera bouger les lignes. Ou du moins que cela permettra au gouvernement de prendre la mesure de l’urgence de la situation et, pourquoi pas, de commencer à dresser la liste des responsabilités.

Car, si les faiblesses de l’entreprise depuis plusieurs années n’étaient guère un secret de polichinelle, l’heure est venue de faire le point pour les distributeurs lésés. En première ligne, ce sont les choix stratégiques des trois actionnaires qui ont acquis Milee en 2017, dont Éric Paumier, directeur général et « entrepreneur en série passionné » selon sa propre description, ce qui défie.

Réunis au sein du groupe Hopps, qui a racheté Milee pour un euro symbolique, les trois patrons ont par exemple pris la décision de céder Colis Privé, filiale qui génère pourtant des revenus, pour 600 millions d’euros. Privé de sa vache à lait, Hopps a depuis accumulé des dettes, qui s’élevaient à 73 millions d’euros au 30 mai, date de la mise en redressement judiciaire.

Un véritable « drame social »

Bien qu’au bord de la faillite et incapable de présenter ses comptes de l’année 2022 dans les délais légaux, le groupe Hopps aurait tout de même permis à Éric Paumier de se verser 70 millions d’euros de dividendes en 2023. La direction, à qui une mise en demeure a été adressée envoyé, n’a répondu aux employés que par le silence.

« Le pire a sans doute été l’expérience Oui Pub »renchérit Samira Cheurfi, secrétaire fédérale de la CGT Filpac. Cette expérimentation, décidée par la loi et déployée sur 14 territoires, vise à interdire par défaut la diffusion de supports publicitaires non adressés pour lutter contre le gaspillage.

« J’ai dit à tout le monde que ce serait un drame social. Mediaposte, deuxième grand acteur du marché, a réussi à réintégrer une grande partie de ses salariés (4 700 – NDLR) à La Poste, mais chez Milee, que va-t-il se passer ? » déplore le représentant syndical.

Non plus seulement une question de droits, mais une question de dignité

Se succédant au micro installé sous une petite grange noire, rue de Bercy, plusieurs représentants politiques prêchent cette parole. « Il faut donner à La Poste les moyens d’embaucher Milee »propose Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, aux côtés de Léon Deffontaines et des députés FI.

Hilona, ​​à moitié cachée par son gros foulard et ses collègues, n’en est pas sûre. « Je ne voudrais pas aller à La Poste, j’aimerais changer complètement de métier. J’étais tellement déçu par Milee, avec tous les retards de paiement des salaires depuis des années”soupire le préparateur niortais.

Elle n’a pas d’enfants à charge, mais un prêt sur le dos qu’elle craint de ne plus pouvoir rembourser si les liquidateurs mettent encore trois mois à la payer. Elle et de nombreuses personnes présentes semblent partager le même avis : sortir rapidement de cette impasse n’est pas seulement une question de droits, mais aussi une question de dignité.

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