Disparition. Françoise Gilot, la peintre qui s’est libérée de Picasso

« Personne ne quitte un homme comme moi » disait Picasso. Françoise Gilot a su le faire. Et c’est loin de l’artiste espagnole qu’elle a pu construire sa carrière de peintre. Elle est décédée mardi 6 juin à l’âge de 101 ans, des suites d’une maladie cardiaque et pulmonaire, selon sa fille Aurélia Engel.
Françoise Gilot est née le 26 novembre 1921 à Neuilly-sur-Seine. Son père, Émile Gilot, était un riche chimiste et Madeleine Renoult-Gilot, sa mère, était aquarelliste.
L’envie de se lancer dans la peinture
Cette dernière, accompagnée de Mademoiselle Meuge, qui fut sa propre institutrice, transmet ses connaissances artistiques à l’enfant. Son père s’occupe de son éducation à la maison.
Mission accomplie, Françoise est surnommée « la petite rousse illustrée ». Mais le patriarche semble intraitable, il ordonne à la jeune fille, née gauchère, d’utiliser sa main droite. Elle devient ambidextre pour lui obéir. C’est plus tard, dans la vingtaine, qu’elle fera vraiment un pied de nez au père de famille, en lui annonçant qu’elle renonçait à la carrière d’avocat qu’il pensait lui avoir tracée. . Il est furieux. Pour lui échapper, elle s’installe un temps chez sa grand-mère maternelle.
Déjà à cinq ans, alors qu’il assiste à une réception familiale, un étrange personnage apparaît, des fleurs à la main. Ce drôle d’animal n’est autre qu’un peintre. Françoise est convaincue qu’elle deviendra artiste.
En mai 1943, la prophétie s’accomplit
Au fil du temps, les rencontres significatives se multiplient. En 1934, elle rencontre Geneviève, qui deviendra son amie intime et l’un de ses modèles. Grâce à sa famille, elle rencontre également plusieurs artistes, dont Jacques Beurdeley, qui lui enseigne la gravure, mais aussi Endre Rozsda. Il lui apportera un soutien inconditionnel. Il affectionne Picasso dont il lui montre souvent les toiles.
D’origine juive, Endre doit quitter Paris en 1943. Alors que Françoise l’accompagne jusqu’au train, la jeune femme lui crie qu’elle est inquiète pour son avenir. Son amie lui dit de ne pas s’inquiéter et qu’elle devrait bientôt rencontrer Picasso.
En mai 1943, la prophétie se réalise : Geneviève, alors proche d’Alain Cuny, lui propose d’aller au restaurant « Le Catalan », repère d’artistes et de personnages hauts en couleur, dont l’artiste andalou.
De cette rencontre, Picasso composera Le Buffet du Catalan. Françoise, alors étudiante, n’a pas peur et propose à Picasso de venir à l’exposition qu’elle organise avec son amie Geneviève. Ils se voient tous les deux régulièrement.
L’homme, de quarante ans son aîné, l’a présenté à toute une kyrielle d’artistes et d’auteurs, dont Reverdy, Cocteau, Brassai, Gertrude Stein ou encore Matisse. Parallèlement, Françoise suit des cours à l’Académie Julian, qu’elle finance elle-même, son père l’ayant coupée.
Elle poursuivra sa formation en prenant des cours de dessin le matin à l’École des Beaux-Arts. En 1945, elle rencontre Jean Dubuffet et se rapproche de Nicolas de Staël, Sonia Delaunay et Brancusi, ce qui coïncide avec un moment d’abstraction dans sa peinture. Le couple Gilot-Picasso s’installe ensemble, ils ont deux enfants, dont elle réalise de nombreux portraits. Le premier né, Claude, porte son nom en hommage au professeur de Watteau, Claude Gillot. La seconde, Paloma, est nommée en hommage à la colombe de la paix. Comme le souligne Matisse, « Chaque fois que Françoise dessine un oiseau, aussi éloigné soit-il de la réalité, il s’envole. » Un simple rêve d’évasion ou un impérieux besoin d’évasion ?
voler de ses propres ailes
Françoise Gilot s’impose comme une éminente peintre et Daniel-Henri Kahnweiler lui propose d’être son marchand d’art exclusif. En 1953, elle quitte Picasso et leur maison de Vallauris pour s’installer avec Claude et Paloma dans son appartement parisien, 9 rue Gay-Lussac. Cette relation qui, pour elle, était « un prélude à [sa] vie. Pas la vie. », lui vaut une éclipse de la scène artistique française.
Celle dont le travail est au confluent de multiples influences, dont Braque, Léger et Matisse, a su trouver sa voie, sa ligne, sa propre ligne, plus arrondie que celle de Picasso. « Quoi que vous dessiniez sur la toile, c’est toujours vous-même que vous représentez », dit-elle.
Dans les années 1960, elle quitte la France pour s’installer aux États-Unis, où son art est plus reconnu qu’en France, où elle souffre d’ostracisme, suite à la publication de son livre Vivre avec Picasso (1964), du vivant de l’artiste. Celle qu’il représentait comme la « femme fleur » savait montrer ses piquants.
Grb2