«Dictature du prolétariat», «hystérie fiscale»… comment un amendement du PFN sur la fiscalité des grandes entreprises a perturbé la macronie, la droite et le RN – Libération
Numéro 2 277. C’est un amendement qui a rendu fous les bancs du bloc central, de la droite et de l’extrême droite vendredi soir. Lors de l’examen de l’article 11 du projet de loi de finances, le NFP est parvenu à faire adopter une surtaxe temporaire de 120% sur l’impôt des plus grandes entreprises. Plus précisément, augmenter l’impôt sur les bénéfices à 40 % pour ceux dont le chiffre d’affaires dépasse un milliard d’euros et à 55 % pour ceux dont le chiffre d’affaires dépasse trois milliards d’euros. Bien plus que la contribution exceptionnelle prévue par le projet de budget du gouvernement Barnier pour les 400 plus grandes entreprises, censée rapporter 8 milliards d’euros.
Jusqu’à présent, une longue série d’amendements venus de gauche réclamant une augmentation de cet impôt ou sa pérennisation avaient été rejetés, parfois par une poignée de voix, dans une assemblée peu peuplée. Avant eux, le groupe UDR d’Eric Ciotti – et même une poignée de députés macronistes militant résolument en faveur d’une politique de l’offre – avaient tenté en vain de faire supprimer la surtaxe, par un amendement balayé par seulement 14 voix pour. Mais l’amendement porté par LFI, qui double la surtaxe, a été voté peu avant minuit, à la surprise générale : 109 députés de gauche présents ont voté pour, 95 élus du bloc central, la droite et l’extrême droite contre. Sauf la députée RN Alexandra Masson qui l’a soutenu. Flash bolchevisation ou à cause d’un doigt qui a glissé sur le mauvais bouton, on ne sait pas encore…
Ce vote a indigné les bancs de droite qui, plutôt que de défendre leurs amendements, ont utilisé tout leur temps de parole pour protester. « Ce soir, le piège fiscal se referme sur le gouvernement, disait Charles Sitzenstuhl (Renaissance). A la fin de cette soirée, je serai très inquiet pour nos chefs d’entreprise.» Le député alsacien, comme ses collègues, fait-il semblant d’oublier que cet amendement n’a aucune chance d’être retenu ni en cas de 49.3, ni au Sénat, ni en commission mixte paritaire ?
Son collègue Mathieu Lefèvre a accusé la gauche de «haine contre la propriété Et avoir « a adopté des impôts à 120 % », dans « un grand moment d’hystérie fiscale ». « Les amendements votés nous poussent dans une hallucination collective, s’exclama David Amiel (Renaissance). Le taux d’impôt sur les sociétés serait le plus élevé au monde, (…) vous battez les Comores qui étaient jusqu’alors les champions mondiaux de l’impôt sur les sociétés.» Laurent Saint-Martin, le ministre du Budget, semble déçu : « Ce que vous faites ici n’est tout simplement pas sérieux. » « Ce qui n’est pas grave, a rétorqué Mathilde Panot (LFI), ce sont les 1 000 milliards de dettes qui ont été créés par Emmanuel Macron. Et « demander au peuple de payer pendant sept ans les cadeaux faits aux riches et aux multinationales (…). Nous montrons qu’un autre budget est possible.
« Stratégie anticapitaliste, d’inspiration marxiste »
Les quarante-cinq dernières minutes de la journée se termineront par une succession de joutes verbales. « Un taux de 120 % ne ressemble à rien (ce qui n’est pas ce que propose l’amendement, ndlr), pourquoi pas 500%, 2000%, 3000% ? a ironisé le député RN Matthias Renault. « Vous êtes totalement irresponsables, vous voulez écraser l’économie française, vous avez décidé d’essayer de prendre le pouvoir par le chaos, que vous soyez LFI ou socialiste c’est la même chose, vos esprits sont mélenchonisés, et donc brutaux et agressifs, notre débat ne ressemble plus à rien », » a déclaré le macroniste Eric Woerth – peut-être inquiet du fait que le nom du candidat à la présidentielle n’ait pas encore été évoqué par la droite ce vendredi soir au Palais-Bourbon.
Mais c’est le député Renaissance Daniel Labaronne qui écrase la concurrence. «Tous vos amendements s’inscrivent dans une stratégie anticapitaliste, d’inspiration marxiste», » a-t-il dit, impassible, comme pour féliciter la gauche, qui a accueilli sa tirade par de grands bravos, applaudissements et remerciements. Et de lister les objectifs qu’il lui attribue : « s’attaquer aux riches pour aller vers une société sans classes », « s’approprier collectivement les moyens de production », « s’attaquer à l’économie de marché », pour enfin arriver à « la dictature du prolétariat ». « Quel bonheur, Monsieur Labaronne, ce que vous venez de nous dire, » sourit au passage le député communiste Nicolas Sansu.
Cette séquence fantastique se terminera par un ultime retournement de situation, lors du vote final sur l’ensemble de l’article 11, modifié par le fameux amendement. Le RN, mais aussi Renaissance et LR l’ont rejeté en bloc, par 122 contre et 113 pour. Avec donc une trentaine de votants de plus que lors du vote de l’amendement : visiblement, le « bloc central » et la droite avaient rallié leurs troupes. L’absence des macronistes cette semaine à l’Assemblée a été une nouvelle fois dénoncée par le RN, qui l’accuse de poursuivre une stratégie délibérée. Certains verront ces échanges comme des palabres inutiles ; d’autres le retour du débat idéologique entre gauche et droite qu’Emmanuel Macron avait apparemment effacé il y a sept ans.