« Diamant brut », cinéma d’auteur et regard bourgeois
« Diamant Brut » : encore un portrait de jeune fille, française celle-ci, celui de Liane, aspirante influenceuse adolescente du Sud pauvre. Un film qui m’a beaucoup énervé, et qui m’a rappelé une expression lue il y a quelques années dans un magazine en ligne, le « regard bourgeois », que je ne considérerais pas comme un concept, mais que je trouve éclairante dans l’apparition de C’est ainsi qu’un certain cinéma a l’habitude de regarder des personnages issus de milieux défavorisés.
Ça se passe à Fréjus, sur cette Côte d’Azur pas glamour, filmée comme l’Amérique poubelle blanche dans le cinéma indépendant américain. Liane vit dans une banlieue qu’elle atteint en traversant des zones semi-abandonnées, avec sa mère et sa petite sœur, dans des conditions de précarité absolue. Chaque jour dans sa chambre, elle passe des heures à se maquiller, à s’habiller, à se coiffer, à utiliser du matériel volé, à réaliser de courtes vidéos pour les réseaux sociaux. Le Saint Graal, dont elle discute constamment avec son groupe d’amis, arrive à la télévision pour ensuite devenir une célèbre influenceuse, et s’offrir la vie dont elle rêve. Un jour, un producteur de télé-réalité l’appelle pour lui proposer un casting. Dès lors, Liane se concentre entièrement sur cet objectif.
Meilleur des Mondes
58 minutes
Le film s’ouvre sur une scène dans un parking la nuit, avec une jeune fille tentant maladroitement un tour. pole dance autour d’un poste bien trop gros pour être pratiqué de cette façon. On voit ses cheveux longs, des paillettes qui brillent et tout est déjà là : l’intention de magnifier avec les moyens du cinéma d’auteur une figure qui ne l’est pas dans la réalité. C’est là qu’intervient le « regard bourgeois », ce regard bourgeois, comme on dit «gaze masculine» pour parler de ce fameux regard masculin hétéronormatif qui régit la majorité de la production cinématographique. Cette jeune femme, interprétée par Malou Khebizi, est une actrice découverte grâce à un casting sauvage. Mais je trouve qu’on la regarde moins qu’on regarde le réalisateur la regarder, avec une fascination un peu suspecte, une fascination qui dépasse de loin l’histoire : ce qu’on regarde n’est pas vraiment un environnement ou une personne. Il s’agit là d’une démarche voyeuriste, qui consiste à scruter avec complaisance une figure populaire qui nous fascine.
Comment réussir à neutraliser une réalité sociale que l’on voudrait dénoncer
L’intention du film est de « rendre grâce » à Liane – le film déploie un sous-texte mystique particulièrement désagréable. Il s’agit de le sublimer en l’enfermant dans un format quatre tiers, ce format carré devenu signe du cinéma d’auteur depuis le Nouvelle vagueen modifiant l’image avec des procédés de colorimétrie très sophistiqués qui déréalisent les corps et les lieux, en plaçant des airs de violoncelle grandiloquents sur des images où l’on peut lire les commentaires, souvent insultants, très sexuels en tout cas, laissés par les fans de Liane. Un ton qui se veut à la fois « dur et délicat » pour citer Agathe Riedinger. Une formule qui dit tout en ne disant rien : une sorte de neutralisation par le cinéma d’une réalité sociale que l’on voudrait pourtant commenter et dénoncer.
Pour ce faire, la fiction s’appuie sur une structure particulièrement crue : montrer qu’il y aurait d’un côté une vraie Liane, à la fois forte et fragile qui hurle après sa mère et refuse timidement un amant, et de l’autre, celle qui imite Kim Kardashian et d’autres sur le réseaux sociaux. La pute, et la vierge en gros.
En fin de compte, ce que produit le film, c’est exactement ce qu’il dénonce, exactement ce que fait la télé-réalité : il transforme son personnage en icône, c’est-à-dire en objet fixe, dont il est le premier fan, mais fan – comme sur les réseaux sociaux. réseaux – épuisant, potentiellement harcelant, qui pousse à toujours plus donner de soi. Diamant brut : le titre était ironique et engagé, c’était l’expression utilisée par ce producteur de télé cynique et sans cœur, mais cela sonne finalement littéralement comme le butin d’un cinéaste fier d’avoir trouvé la beauté dans l’insignifiant, et qui pour ce faire tranche brutalement dans la masse .