Ba nouvelle nouvelle : Rose Glass est enfin de retour ! Repérée il y a cinq ans avec son tout premier long métrage Sainte Maud (2019), petit film d’horreur mettant en scène une religieuse éclairée et lauréat du grand prix du Festival Fantastique de Gérardmer, la jeune réalisatrice britannique confirme aujourd’hui son talent avec L’amour ment, le saignement. Très attendue par les cinéphiles, elle passe avec brio l’épreuve redoutée du deuxième film avec ce thriller qu’elle a tourné cette fois en Amérique. Avec, cerise sur le film, l’inclassable Kristen Stewart.
L’action de son thriller se déroule en 1989 dans le sud-ouest des Etats-Unis. Plus précisément à Crater, une ville fictive du Nouveau-Mexique. Lou (Kristen Stewart, avec une belle coupe mulet) dirige une salle de sport crasseuse et délabrée, le Crater Gym, dans ce trou perdu. Plein de poussière au sol et de sueur sur les murs, ce club de fitness accueille des rednecks fiers de leurs cactus et de leur pick-up. Des athlètes dopés aux stéroïdes qui hantent les centres de fitness la nuit tombée.
En 2023, on a pu découvrir l’extraordinaire au cinéma Griffe de fer avec Holt McCallany qui a raconté le destin tragique d’une famille de superstars du catch au Texas dans les années 1980. Également produit sous la bannière de la société A24, L’amour ment, le saignement nous plonge dans le monde des bodybuilders à la même époque, les années quatre-vingt. Et dépeint une autre cellule familiale dysfonctionnelle. En l’occurrence celui de Lou, qui n’a pas parlé à son père depuis des années (elle le rejette depuis que sa mère a mystérieusement disparu). Manager d’un club de tir, marchand d’armes à ses heures perdues, Lou Sr. est effectivement un drôle de type (il est incarné par Ed Harris, qui ressemble ici à une vieille sorcière du Mississippi avec sa coiffure improbable et son visage couvert de rides).
Surnommé « The Bug Guy », ce voyou collectionne les insectes dans des terrariums en verre et inspire la peur à ses proches. Redoutablement intelligent, ce patriarche est avant tout un monstre tentaculaire qui veut contrôler tout son entourage (il est également propriétaire de la salle de sport de sa fille). Pour compliquer les choses, Lou est une femme qui aime les femmes. Et ce n’est pas facile d’être homosexuel dans l’Amérique de George HW Bush, surtout quand on vit dans une ville sinistre.
LIRE AUSSI Du « Physical » au « Gym Tonic » : il y a 40 ans, la folie de l’aérobicCette Amérique n’est pas rose. Il n’affiche pas les couleurs du drapeau arc-en-ciel. Elle est noire comme l’ébène. Dans ce milieu rural, les femmes détruisent les murs. Et parfois, ils sont touchés. Lou tente également de protéger sa sœur Bethany (Jena Malone) qui est souvent bouleversée par JJ (James Franco), son mari infidèle, alcoolique et violent. Un montagnard de basse altitude qui n’inspire que mépris.
D’amour et de sang
Heureusement, Lou trouve un peu de réconfort auprès de Jackie (la sculpturale Katy O’Brian), une culturiste bombée qui vient s’entraîner dans sa salle de sport. Lou est en effet tombé follement amoureux de cette SDF arrivée d’Oklahoma et de passage en ville pour se rendre à une compétition de bodybuilding à Las Vegas. Elle rêve de remporter une compétition à « Sin City » et de devenir championne de bodybuilding. Après être tombée amoureuse de Jackie, Lou va accueillir ce vagabond chez elle, et les deux femmes, attirées l’une par l’autre, s’aimeront à la folie.
Sans dévoiler la suite de l’intrigue, on peut révéler que leur relation passionnelle va les entraîner, malgré eux, dans une spirale de violence. Une spirale vicieuse de crime, d’amour toxique et de dépendance aux stéroïdes anabolisants. Si l’on y ajoute une amie très envahissante (Anna Baryshnikov, la fille du danseur) et un agent du FBI tout aussi collant (Orion Carrington), on devine que tout va très mal finir.
Dans la grande tradition des romans noirs de James M. Cain ou de Jim Thompson, les personnages de cette romance saphique sont poursuivis par la malchance et la malchance. Quand on découvre Lou au début du film récurant les toilettes de son club d’aérobic et plongeant ses mains dans la merde, on n’est pas surpris de la retrouver une heure plus tard en train de nettoyer le sang des cadavres volumineux qui s’entassent tout au long de l’histoire. Des cadavres dont on se débarrasse en les jetant au fond d’un ravin la nuit.
Fantaisie queer
Contrairement au couple Thelma et Louise de Ridley Scott, qui a parcouru, les cheveux au vent, les grands espaces américains au volant de leur Thunderbird de 1966, les héroïnes de L’amour ment, le saignement sont immobiles. Privés de liberté, ils restent coincés dans la ville de Crater, perdue au milieu de nulle part. Comment échapper à ce lieu sauvage et cauchemardesque, ce no man’s land entouré d’étendues désertiques, qui ressemble à une prison à ciel ouvert ? Parce qu’il met en scène deux femmes rejetant les normes d’une société patriarcale et répondant par les armes à la violence masculine, le film de Rose Glass bouleverse les schémas habituels.
Ceux qui n’imaginent pas qu’une femme puisse filmer aussi crûment la violence seront surpris par ce thriller dans lequel la réalisatrice s’affirme comme une disciple très douée de Kathryn Bigelow. En 1996, les Wachowski avaient déjà lancé la tendance du thriller lesbien avec Lié. En avril dernier, Ethan Coen sans son frère Joel signait la comédie dessinée Chasser les poupées, une sorte de road trip où deux amies lesbiennes se font pourchasser par des criminels. Rien de tout ça dans L’amour ment, le saignement. Tendre et romantique, ce fantasme queer raconte une histoire d’amour torride et propose des ébats charnels de haute intensité. Les personnages ici sont attachants. Il y a une vraie alchimie entre les deux actrices.
Kristen Stewart, qui revendique sa bisexualité depuis des années, est magnifique dans la peau de cette âme écorchée et souffrante du mal de vivre. Elle apporte toute sa sensibilité à cette rebelle qui tente d’échapper à sa condition de femme humiliée. A ses côtés, Katy O’Brian est la grande révélation du film. Déjà vu dans des rôles secondaires dans Ant-Man et la Guêpe : Quantumanie (2023) ou encore les deuxième et troisième saisons de la série Le Mandalorienl’artiste martial sera au casting du prochain Mission impossible avec Tom Cruise en 2025. Ici, elle bouffe l’écran et compose un personnage sujet aux accès de violence. Une culturiste qui entretient un rapport extrême avec son corps et a été victime d’un traumatisme.
L’amour réside dans le saignement, un plaisir esthétique
Cette fable sur fond d’homosexualité féminine bénéficie également d’un scénario remarquable co-écrit par Rose Glass et Weronika Tofilska, à qui l’on doit la production de nombreux épisodes de la série Netflix. Mon petit renne. Les auteurs se livrent également à quelques envolées poétiques, à l’image de cette séquence onirique qui rend hommage à Attaque de la femme de 50 pieds (1958) de Nathan Juran, drame en noir et blanc avec… une géante musclée !
Tourné en CinémaScope sous des ciels électriques, L’amour ment, le saignement procure également un réel plaisir esthétique. Le tournage a eu lieu à Albuquerque, au cœur de l’Amérique. Et le directeur de la photographie, Ben Fordesman, s’est inspiré des photographies du Néerlandais Robby Müller sur Paris, Texas (1984) de Wim Wenders et Police fédérale, Los Angeles (1985) de William Friedkin pour créer des images aux teintes bleues et rouges.
Plein de succès underground des années 80 (par Throbbing Gristle, Gina Requiem pour un rêve par Darren Aronofsky). Bref, ce néo-noir éclairé par des néons verts fluo est une excellente surprise. Cela nous donne envie de réécouter la chanson d’Elton John qui ouvrait son album en 1973. Au revoir la route de briques jaunes : «L’amour réside dans le saignement». Un titre percutant qu’on pourrait traduire par « Amour, mensonges et saignements ». Un bon résumé du programme qui vous attend.
« Love Lies Bleeding », de Rose Glass avec Kristen Stewart, Katy O’Brian, Ed Harris, Jena Malone, James Franco. 01h44 Sortie le 12 juin.