Réduction du déficit ou soutien à la croissance, faudra-t-il choisir ? Les prévisions économiques dévoilées ce mercredi par Bruxelles montrent les limites de la stratégie du gouvernement d’assainissement des comptes publics : le plan d’économies massives annoncé pour 2025 « pourrait avoir un impact sur la croissance économique » selon la Commission, ce qui obligerait à resserrer nos encore plus pour atteindre les objectifs de déficit public.
Ce casse-tête budgétaire français s’inscrit dans un contexte pour le moins morose pour l’économie européenne. Certes, elle devrait connaître un rebond cette année après le ralentissement de l’année dernière, mais cela s’annonce modeste, avec une croissance attendue à 1 %. L’accélération sera encore timide l’an prochain, à +1,6%.
Casquette d’âne de la zone euro
Sur ce plan, la France n’est pas complètement différente. La Commission européenne prévoit que l’activité économique augmentera de 0,7% en 2024 – ce qui reste inférieur à la dernière prévision de Bercy de février dernier, à 1% – et encore de 1,3% l’année prochaine (soit presque le +1,4% avancé par les services de l’UE). Ministère de l’Économie).
Ces chiffres restent toutefois théoriques. Car les effets de la stratégie budgétaire du gouvernement sur l’activité restent à voir. Pour cette année, Bruxelles estime ainsi que l’objectif – bien que déjà sensiblement revu à la baisse, à 5,1% contre 4,4% initialement prévu – n’est pas tout à fait en vue, attendu à seulement 5,3 %. Le premier plan d’économies de 10 milliards d’euros annoncé en février a été pris en compte par la Commission, et va « peser sur la croissance ». D’autres efforts visant à maintenir à tout prix la trajectoire des finances publiques pourraient avoir le même effet.
Mais c’est pour l’année 2025 que la tâche s’annonce la plus compliquée. A ce stade, Bruxelles table sur un déficit de 5%, bien au-dessus des 4,1% promis par Bercy en avril. Avec un tel chiffre, la France échapperait de peu au bonnet d’âne de la zone euro : seule la Slovaquie hérite d’une prévision de finances publiques encore plus dégradée, à 5,4 %. La moyenne de la zone euro est attendue à 2,8% l’année prochaine.
25 milliards d’économies
L’évolution est également médiocre pour la dette : elle naviguerait en 2025 à un niveau supérieur à celui – quoique peu ambitieux – annoncé par Bercy (113,8% contre 113,1%). Pour assombrir encore davantage le tableau, le taux de chômage pourrait également passer de 7,3 % en 2023 à 7,8 % l’année prochaine. La faute notamment à la forte croissance de la population active « qui s’explique principalement par la réforme des retraites de 2023 », selon l’exécutif européen.
Les services du commissaire européen aux Affaires économiques, Paolo Gentiloni, n’ont cependant pas pris en compte les « économies significatives sur les dépenses publiques » annoncées par le gouvernement, compte tenu du « manque de détails révélés pour le moment ». En effet, passer d’un déficit de 5% comme le prévoit Bruxelles à un équilibre de 4,1% annoncé par Bercy nécessite des économies de l’ordre de 24 à 25 milliards d’euros. C’est un niveau très proche des 20 milliards d’euros annoncés il y a quelques semaines par le ministre des Comptes publics, Thomas Cazenave. Du côté de Bruno Le Maire, le ministre des Finances, on refuse de donner des chiffres, en référence au projet de loi de finances de la rentrée.
Le problème est qu’un plan aussi massif « pourrait avoir un impact sur la croissance », souligne Bruxelles. Le Haut Conseil des finances publiques avait d’ailleurs, en avril, pointé cette « faille de raisonnement », pour reprendre les mots de son président Pierre Moscovici : les économies annoncées vont peser sur l’activité économique. À tel point qu’en l’absence d’une croissance suffisante, une réduction encore plus importante des dépenses publiques serait nécessaire pour répondre à l’objectif d’assainissement des comptes publics. En clair, Bercy ne pourra pas courir après deux lièvres à la fois, le redressement des finances publiques et le soutien à la croissance.
« Un raisonnement simpliste »
«C’est un raisonnement un peu simpliste», répond-on à Bercy. « Nous veillons à réduire les dépenses publiques de mauvaise qualité, toutes les dépenses ne servent pas la croissance. Et le désendettement du pays peut aussi impacter le moral des entreprises et des investisseurs et ainsi soutenir l’activité », argumente un conseiller de Bruno Le Maire.
Face à un tel dilemme, la position de Paris parmi ses partenaires européens s’annonce compliquée. D’autant qu’un autre problème viendra s’ajouter dans quelques semaines. Le 18 juin, la Commission européenne devrait ouvrir une procédure pour déficit excessif à l’encontre de la France, alors que prendra fin le confinement des règles européennes depuis la crise du Covid. Certes, la France ne sera pas seule, car la procédure devrait concerner entre neuf et onze Etats membres. Mais cela pèsera forcément sur la capacité d’influence française.
Après des négociations cet été avec la Commission, Bercy devra présenter en septembre son plan pluriannuel de finances publiques, qui pourrait s’étaler sur 7 ans. Ce sujet sera ensuite discuté par ses partenaires européens jusqu’à la fin de l’année.