Destination Lune pour Michelin et sa roue capable de résister à des températures allant de -243 à +100°C
Concevoir une roue lunaire capable de résister à des températures allant de -243°C à +100°C, rouler 10 000 kilomètres sur un terrain meuble et accidenté, participer au développement d’un rover destiné à transporter deux astronautes dès 2028 : c’est le défi que veut relever Michelin, dans son centre de recherche de Ladoux, en périphérie de Clermont-Ferrand.
Viser la Lune n’effraie pas Bibendum. Au contraire. Il espère faire partie de l’aventure du programme Artemis, mené par la NASA et qui vise à établir une base d’exploration lunaire au pôle Sud de notre satellite. Là où l’eau reste sous forme de glace, au fond de cratères qui ne reçoivent jamais la lumière du soleil et où la température ambiante avoisine les -243 degrés Celsius. Là où le rayonnement cosmique est intense et où toute exposition solaire fait monter le mercure à +100 degrés. Là encore, comme partout sur la Lune, où le sol de surface, le régolithe, est constitué de poussières de météorites fines et meubles qui recouvrent un terrain accidenté et pierreux, avec des pentes allant jusqu’à 20 degrés sur les cratères. Sans parler de la gravité six fois inférieure à celle de la Terre.
Le véhicule reste à concevoir
Des conditions extrêmes dans lesquelles la NASA prévoit d’utiliser un véhicule lunaire, ou rover, pour transporter deux astronautes et d’autres charges utiles, d’ici 2028. Ce véhicule reste à concevoir. Et pour Michelin, impliqué dans l’équipe du constructeur américain Intuitive Machines aux côtés de Boeing, par exemple, il s’agit bien sûr de développer les roues lunaires sur lesquelles le véhicule pourra rouler.
On dit roue et non pneu car c’est bien sur un modèle en composites souples et sans air que les équipes de recherche du constructeur travaillent depuis près d’un an et demi. Un produit très éloigné de ses enveloppes classiques à base de caoutchouc qui, sur la Lune, se briseraient comme du verre en un instant. Mais avec l’idée, en cohérence avec la stratégie globale du groupe, de l’imaginer durable.
« La demande de la NASA est de pouvoir rouler pendant dix ans et parcourir 10 000 km », explique Sylvain Barthet, responsable du projet de roue lunaire. « Cela peut nécessiter l’utilisation de plusieurs rovers. Mais notre ambition est de concevoir des roues qui dureront dix ans. »Des essais ont été réalisés sur le volcan de Lemptégy à Saint-Ours, où le sol pouzzolanique s’apparente au régolithe lunaire, très abrasif.
Des roues robustes, qui nécessiteront moins de remplacements et donc moins d’unités, un facteur crucial dans un secteur où chaque kilo embarqué peut coûter un million d’euros…
Les roues que Michelin a présentées en milieu de semaine dernière ont un design inhabituel, entre drapé et dentelle, et sont d’un bleu roi vif, qui sied à merveille à la pouzzolane du volcan de Lemptégy, théâtre des tests dynamiques, mais ne conservera sans doute pas cet aspect. « Nous sommes en phase de comparaison des matériaux et avons plusieurs versions de développement, poursuit Sylvain Barthet, car la silhouette du rover en elle-même n’est pas encore finalisée. Nous avançons en co-conception au rythme de trois réunions par semaine avec nos partenaires américains. Nous réduirons la gamme de nos solutions à l’approche de mai 2025. »La structure insolite du prototype de roue lunaire présenté par Michelin. Photo Thierry Lindauer
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Chez Michelin, nous avons commencé à travailler sur le sujet il y a plus d’un an et demi, alors que l’agence spatiale américaine avait encore neuf candidats en lice. Elle en a retenu trois en avril dernier.Mai 2025 est la date à laquelle devront être déposés les dossiers précis de ces finalistes. La Nasa dévoilera le projet retenu un mois plus tard, en juin. A cette date, Milaw, nom de code de la roue pour roue lunaire sans air Michelin, saura si elle est lancée sur les traces de Milou, le célèbre compagnon de Tintin, à la conquête de la Lune.
Photo Thierry Lindauer
Les deux autres projets en lice, aux côtés d’Intuitive Machines, sont Lunar Outpost et Venturi Astrolab, qui développent des solutions de roues à base de métal, comme celles des véhicules à bord des missions Apollo.De la navette spatiale à Artemis ?
Michelin n’en est pas à son coup d’essai dans l’aventure spatiale. Le manufacturier basé à Clermont-Ferrand et solidement implanté aux Etats-Unis a été le fournisseur exclusif de pneus spéciaux pour la navette spatiale américaine lors de son exploitation de 1981 à 2011. « Aujourd’hui, le groupe produit des joints de fusée, via sa filiale Fenner AST, basée à Houston, ou des tissus techniques pour combinaisons spatiales, via Fabri Cote, filiale basée en Californie », explique Christophe Moriceau, directeur de la recherche avancée de Michelin.
Les pneus de la navette spatiale américaine. Photo d’archive Frédéric Marquet
Sur la pouzzolane de Lemptégy et le sable de LadouxCes roues bleues sur l’ocre de la pouzzolane sont immanquables, mais ce n’est pas seulement pour la photo que Michelin mène des tests pour son projet lunaire sur les contreforts du volcan de Lemptégy.
Le site est évidemment constellé de roches volcaniques et la pouzzolane est ce qui se rapproche le plus sur Terre du sol lunaire. « Il y a ici ce côté abrasif, moins que ce qu’on trouve sur la Lune où il n’y a pas d’humidité, mais intéressant, nous indique le CNES (Centre national d’études spatiales) pour étudier la résistance à l’abrasion, explique Sylvain Barthet, responsable du projet. Mais c’est surtout un terrain de jeu utile pour nous pour voir le comportement de la roue, son interaction avec le véhicule. »
Sylvain Barthet, responsable du projet de roue lunaire. Photo Thierry LindauerUne ancienne piste d’essai de pneus agricoles
Un terrain de jeu plus accidenté que la piste de sable lisse du centre d’essais de Ladoux, où il est davantage question de travailler la portance. En effet, ici, le véhicule et ses 400 kilos peuvent parcourir la courte distance sans vraiment s’enfoncer, alors qu’avec des pneus classiques, il s’enlise en quelques mètres. Il s’agit d’une ancienne piste d’essai de pneus agricoles qui connaît une seconde jeunesse avec la roue lunaire et les enseignements tirés ici seront également utiles au secteur agricole, pour lequel la portance est tout aussi cruciale.
Photo Thierry Lindauer
Sur les ordinateurs aussi
Le développement de la roue lunaire s’effectue avec l’aide de l’informatique, devenue indispensable dans le processus d’innovation : « Comme pour nos pneus, nous réalisons de nombreux tests de simulation, notamment pour la structure, avant de passer aux tests réels. »
Il reste encore un long chemin à parcourir avant qu’elle ne soit achevée. Et si le projet est retenu par la NASA, il faudra attendre au moins 2028 pour tester la roue en conditions réelles. Sur la Lune.
Patrice Campo
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