Des trous noirs observés grâce à des ondes gravitationnelles émises il y a des milliards d’années
Selon une recherche publiée dans plusieurs revues scientifiques le 29 juin 2023, un programme de recherche international semble avoir trouvé un moyen de retracer les origines de l’univers, dans l’obscurité la plus complète.
Comment observer des phénomènes astrophysiques quand on ne voit rien ? C’est un problème auquel sont confrontés les astrophysiciens depuis des décennies : l’observation de l’Univers dépend absolument de la réception sur Terre d’ondes électromagnétiques, notamment lumineuses, infrarouges ou radio.
Est-il alors possible d’observer des trous noirs, ces objets célestes si lourds et denses que même la lumière ne peut échapper à leur attraction gravitationnelle ? Un programme de recherche international semble avoir apporté une réponse positive à cette question, selon une étude publiée dans plusieurs revues scientifiques le 29 juin 2023.
Des scientifiques – européens, américains, chinois, japonais, indiens, sud-africains, australiens – ont ainsi détecté ce qui ressemble très fortement à des ondes gravitationnelles.basse fréquence« Parmi ces chercheurs, une dizaine travaillent en France. Notamment au sein du LPC2E, le laboratoire de physique et chimie de l’environnement et de l’espace (partenariat entre le CNRS, le CNES et l’université d’Orléans) et au radiotélescope de Nançay, en Sologne berrichonne.
Les ondes gravitationnelles ont été détectées pour la première fois en 2016, prouvant une prédiction de la théorie de la relativité générale d’Einstein. Cette dernière explique que les objets célestes déforment l’espace-temps en fonction de leur masse. Si ces masses (les trous noirs par exemple) subissent des accélérations importantes, la déformation de l’espace-temps va se propager, comme une ondulation à la surface de l’eau, mais à la vitesse de la lumière (environ 300 000 km par seconde).
Les ondes détectées en 2016 n’étaient qu’un signal extrêmement bref, résultat de la fusion de deux trous noirs. Cette fois, le signal est beaucoup plus étiré dans le temps. C’est là que réside la révolution. Car l’étude dans la longueur de ce signal peut permettre « pour caractériser sa source« , explique Gilles Theureau, astronome à l’observatoire de Paris/Nançay, dans le Cher. A savoir, par exemple, « s’il s’agit d’un groupe de trous noirs, leur taille et leur position dans l’espace« . Même de « distinguer les événements de l’univers primordial« .
De telles ondes ont pu être émises à des distances énormes et ont pu voyager des milliards d’années avant d’atteindre la Terre, même en se déplaçant à la vitesse de la lumière. L’univers étant vieux de 13,8 milliards d’années, observer des phénomènes tels qu’ils se sont produits il y a 5 milliards d’années représente un saut dans le passé plus que significatif. Vers une époque où les galaxies étaient plus nombreuses et plus petites.
Les scientifiques estiment que le signal gravitationnel détecté en 2023 « est cohérent avec un signal provenant de deux trous noirs supermassifs, c’est-à-dire chacun plus d’un milliard de fois la masse du Soleil« , ajoute Gilles Theureau. C’est en orbitant l’un autour de l’autre que ces deux trous noirs émettraient ce signal. De tels trous noirs sont généralement observés au centre des galaxies, comme notre Voie Lactée. Donc « l’observation de trous noirs binaires au sein d’une galaxie signifie qu’à un moment donné, elle a fusionné avec une autre« , résume Ismaël Cognard, directeur de recherche au CNRS à Orléans.
En d’autres termes, cette découverte signifie que les scientifiques disposent désormais d’une nouvelle façon d’observer l’univers, qui pourrait nous permettre de remonter plus loin dans le temps que n’importe quel télescope optique ou radio.Nous parlons de l’étude de la formation des galaxies sur des milliards d’années.« , ajoute Ismaël Cognard. Même les observations de la « les tout débuts de l’univers, c’est presque de la cosmologie« .
Le rôle du radiotélescope de Nançay a été essentiel dans cette découverte. Pour détecter les déformations de l’espace-temps, les scientifiques se sont appuyés sur l’observation des pulsars. Ces derniers sont des résidus, ce qu’il reste d’une étoile très massive qui, lorsqu’elle n’a plus d’hydrogène pour continuer à briller, explose en supernova et éjecte une partie de sa masse dans l’espace. Son cœur se condense en une bouillie ultra-dense de neutrons. On parle de «une à deux fois la masse du Soleil dans une trentaine de kilomètres de diamètre« , décrit Gilles Theureau.
Parfois, ces étoiles à neutrons tournent si vite qu’elles émettent des faisceaux d’ondes radio très puissants à leurs pôles.Lorsque l’étoile tourne, elle ressemble à un phare au bord de la mer.« Ce signal est habituellement extrêmement fiable. C’est en étudiant les interférences dans ce signal que les scientifiques de Nançay ont pu déterminer que l’espace-temps avait été déformé en cours de route.
Les conclusions du programme scientifique nécessitent encore confirmation et observations complémentaires. Comme l’explique Ismaël Cognard du CNRS d’Orléans, «Il faut du temps pour tout affronter, car les signaux sont très faiblesQuoi qu’il en soit, les astrophysiciens peuvent désormais voir dans l’obscurité la plus complète.
Propos recueillis par Xavier Naizet et Charly Krief.
Article initialement publié le 14/07/2023