« Dès qu’elle est en campagne électorale, la gauche cache son opposition au nom d’un messianisme illusoire »
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« Dès qu’elle est en campagne électorale, la gauche cache son opposition au nom d’un messianisme illusoire »

« Dès qu’elle est en campagne électorale, la gauche cache son opposition au nom d’un messianisme illusoire »

ENTRETIEN – Pour Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire, les dissensions de la gauche sur la nomination du Premier ministre reflètent l’équilibre fragile du « cartel de la gauche ».

Arnaud Benedetti est professeur associé à l’Université Paris Sorbonne et rédacteur en chef de la « Revue politique et parlementaire« . Il a publié Aux portes du pouvoir. RN, la victoire inéluctable ? (Michel Lafon, 2024).


LE FIGARO. – Les dissensions au sein du Nouveau Front populaire pourraient-elles marquer le début de l’implosion du bloc de gauche ?

Arnaud BENEDETTI – Ce bloc est d’abord un cartel formé à la va-vite. Il est loin d’être homogène : c’est un agrégat électoral dont les lignes de cohérence ne se sont construites qu’à partir des circonstances exceptionnelles nées de la dissolution surprise opérée par le président de la République. L’équilibre précaire de ce cartel, puisqu’il revendique le pouvoir, ne repose que sur cette revendication. Les parties prenantes de cette coalition n’ont qu’un objectif en apparence : accéder au pouvoir, alors même que ce cartel n’est pas plus majoritaire à l’Assemblée que dans le pays, qui penche par ailleurs massivement à droite. L’histoire se fissure lorsqu’il s’agit de s’entendre pour que ce bluff, à savoir prétendre être autorisé par les électeurs à « conduire la politique de la Nation », puisse devenir réalité. Or, la réalité du Nouveau Front populaire n’est qu’une réalité alternative : elle est divisée, minoritaire, et n’a plus grand-chose à voir avec l’ancêtre auquel elle se réfère, celui de 1936, qui était majoritaire, uni sur son programme, et incarné par un leader, Léon Blum. Marx avait raison quand il écrivait que « L’histoire se répète toujours deux fois, la première fois comme une tragédie, la deuxième fois comme une farce »La société du spectacle communicant favorise l’émergence de farces…

La querelle entre la France Insoumise et le Parti socialiste, notamment à propos du projet de candidature, pourrait-elle conduire l’un des deux partis à sortir du bloc ?

C’est le pari du président de la République dans tous les cas de fracturer à moyen terme le bloc de gauche et de faire revenir l’aile sociale-démocrate. Or, à ce stade, cela apparaît difficile puisque les députés PS considèrent à juste titre qu’ils n’ont pas mandat pour entrer dans une coalition avec le bloc central. La perspective présidentielle qui reste la matrice de notre vie politique pourrait aussi dissuader le PS de suivre les sirènes de Macron, surtout si les LR d’une manière ou d’une autre acceptaient une forme d’alliance avec ce qu’on appelle le « bloc central ». La gauche sociale-démocrate, si elle souhaite se reconstruire, n’a objectivement aucun intérêt à ne pas rester dans une logique d’opposition. C’est d’ailleurs le risque pour LR d’entrer dans un compromis avec le parti présidentiel, une aubaine pour le RN d’un côté, pour la gauche de l’autre. Le NFP de ce point de vue, malgré ses désaccords, malgré le radicalisme inquiétant et très peu républicain des Insoumis entre autres, a de ce point de vue une probabilité non négligeable de rester groupé, nonobstant l’artifice évident de cette unité.

La vérité ontologique de la gauche réside dans la logique inquisitoriale qu’elle entend exercer sur l’espace public, en ignorant toujours les comportements les moins acceptables.

Arnaud Benedetti

Ces désaccords illustrent-ils les fractures idéologiques des différents partis de gauche ? Le NFP démontre-t-il ainsi qu’il ne s’agit que d’un accord circonstanciel ?

La gauche a toujours été traversée par des clivages idéologiques. Il n’y a pas une gauche mais plusieurs gauches. L’Histoire le montre, ainsi que la droite, qui sont aussi le fruit de cultures multiples et souvent antagonistes. Il y a néanmoins une différence entre la droite et la gauche. Ces dernières, dès qu’elles sont en voie de conquête du pouvoir, sont capables de taire, voire de dissimuler leur opposition au nom d’un messianisme illusoire mais très performatif électoralement. Elles l’ont encore démontré lors des législatives. La droite en est incapable, principalement les plus centristes d’entre elles, qui se laissent imposer leur agenda par la gauche, qui se proclame abusivement détentrice d’une sorte de supériorité morale. Cette autorité est un artefact, mais elle continue à opérer. Ainsi, les LR ou ce qu’il en reste ont intériorisé ce complexe d’infériorité pendant des décennies, à travers une sorte de conformisme bourgeois ou « petit-bourgeois » comme s’il fallait satisfaire aux injonctions théologiques d’une gauche qui aurait une sorte de monopole de la certification du républicanisme. Cette disposition permet à ces derniers de métaboliser, de « blanchir » des profils douteux, voire peu recommandables comme celui d’une personne fichée S ou des personnalités flirtant avec l’antisémitisme. C’est autour de cet avantage comparatif qu’on est prêt à leur accorder que se construit l’unité de la gauche, mais une fois confrontés à l’épreuve ou à l’approche du pouvoir, comme c’est le cas aujourd’hui, leurs lignes de fracture peuvent réapparaître. La vérité ontologique de la gauche réside dans la logique inquisitoriale qu’ils entendent exercer sur l’espace public, en faisant toujours fi des comportements les moins acceptables. Le moment que nous vivons est singulier en ce que cette réalité est d’autant plus exacerbée que la bataille culturelle tourne à leur désavantage.

Ces désaccords pourront-ils profiter aux autres partis politiques dans la formation d’un nouveau gouvernement et dans le rôle joué à l’Assemblée nationale ?

Nous entrons dans une zone de turbulences sans précédent sous la Ve République. L’endettement, le défi migratoire, la dépossession démocratique et désormais la crise institutionnelle sont autant de processus cumulatifs qui font de plus en plus dérailler le pays. Comprenez-le bien : les circonstances exceptionnelles qui sont les nôtres ne favoriseront pas, sur la distance, le bloc central qui tente de survivre. Ce sont les forces repoussées aux marges qui pourraient bientôt et enfin en profiter…

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