Des lymphocytes antitumoraux découverts dans la moelle osseuse du crâne
Pendant longtemps, le cerveau a été considéré comme « déconnecté » du système immunitaire, avec seulement une poignée de cellules privilégiées capables d’infiltrer les barrières cérébrales pour se nicher dans le crâne. Même si l’immunothérapie – qui utilise les cellules immunitaires d’une personne pour identifier, attaquer et détruire ses tumeurs – donne des résultats de plus en plus positifs dans le traitement des cancers en général, cette barrière rend difficile le développement d’une telle maladie. approche contre les tumeurs cérébrales. C’est par exemple le cas du glioblastome, qui est très agressif : il a un taux de récidive de 90 %, même après une intervention chirurgicale et un traitement par chimiothérapie et radiothérapie. Toutefois, ces dernières années, des observations suggèrent que le cerveau n’est pas complètement désarmé pour se défendre. Dans ce contexte, Celia Dobersalske et ses collègues du Centre allemand de recherche sur le cancer à Heidelberg ont démontré pour la première fois que la moelle osseuse du crâne abrite d’abondantes populations de cellules immunitaires.
Cette découverte frappante a été rendue possible grâce à l’examen de lambeaux crâniens, fragments d’os prélevés lors d’opérations chirurgicales visant à exciser les glioblastomes de patients atteints de cette tumeur. A titre de comparaison, l’équipe a également examiné des lambeaux de crânes de patients opérés pour des pathologies non cancéreuses. En soumettant ces fragments à des techniques de marquage radioactif, les chercheurs ont identifié, dans la moelle osseuse crânienne, une augmentation significative de la population de lymphocytes T – une famille de cellules immunitaires – autour de la tumeur. Or, ces cellules sont essentielles à la réponse immunitaire contre les tumeurs grâce à leur capacité à détecter les antigènes tumoraux, des protéines spécifiques que produisent ces agrégats cellulaires et qui servent de signal d’activation. Cette découverte est d’autant plus surprenante que ces mêmes cellules sont rares au sein même de la tumeur.
Cependant, l’analyse de ces lymphocytes issus de la moelle osseuse crânienne a montré qu’ils sont très réactifs aux tumeurs. Par ailleurs, Celia Dobersalske et ses collègues ont également détecté parmi eux un sous-type particulier, les lymphocytes T CD8+ effecteurs de mémoire, une forme activée dont la présence prouve que les lymphocytes de la moelle osseuse crânienne sont fonctionnels. De plus, ces cellules expriment fortement une protéine, S1PR1, connue pour signaler aux lymphocytes T de quitter leur position et d’infiltrer les sites inflammatoires tels que les tumeurs. Pour l’instant, les chercheurs ne savent pas où ni comment ces lymphocytes rencontrent les antigènes tumoraux qui les activent. Des études plus approfondies seront nécessaires.
Autre surprise de ces travaux : les biologistes ont remarqué que les lymphocytes T isolés de la moelle osseuse crânienne restaient actifs après plusieurs stimulations répétées, ce qui n’est pas le cas de ceux retrouvés directement dans les tumeurs ou dans le sang. En effet, ces dernières perdent généralement de leur efficacité après quelques stimulations successives par des antigènes tumoraux ; un phénomène de « fatigue », en quelque sorte. Reste à comprendre pourquoi les lymphocytes du crâne ne subissent pas ce phénomène de fatigue. Ensemble, ces caractéristiques font de la moelle osseuse crânienne un réservoir prometteur, qui pourrait fournir des cellules T réactives aux tumeurs, capables de migrer vers elles.
Cette découverte offre ainsi de nouvelles pistes très intéressantes pour le développement d’approches d’immunothérapie, notamment contre les glioblastomes, qui touchent près de 3 500 personnes par an en France.
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