Des JO au haka, le salon sportif français s’affirme en s’éloignant (enfin) des codes US
Condamné à manger seul à la table des divertissements depuis des décennies, le sport américain a-t-il enfin trouvé à qui parler en France ? Non pas qu’il nous viendrait à l’esprit de remettre en cause la suprématie du Super Bowl, ses montagnes de stars et ses publicités épiques, mais 2024 aura clairement été celle d’une montée en puissance française en la matière. La scénographie des hymnes nationaux et du haka des All Blacks avant leur défaite étriquée face au XV de France samedi dernier, dans un stade plongé dans le noir pour mieux mettre en valeur les 30 protagonistes, a mis tout le monde d’accord, et on a hâte de voir ce que nous réservent les ingénieurs son et lumière de la fédération de rugby pour la réception argentine vendredi soir. Une seule certitude : artistiquement, la tournée automnale des Bleus a prolongé l’œuvre conçue par les JO de Paris 2024.
Il convient bien sûr de séparer les deux productions, l’une à mettre au crédit de Cojo et de ses exploitants, l’autre de la FFR et de ses prestataires. Il est également amusant de constater que lorsque les premiers recevaient les éloges du public pour la cérémonie d’ouverture, la vasque et les temps forts du club de France, les seconds se plongeaient dans les préparatifs de ce haka si mémorable qu’il aurait été applaudi. dix fois par le président de la fédération néo-zélandaise selon Florian Grill.
Depuis août, pas moins d’une cinquantaine de personnes ont travaillé dans l’ombre pour parvenir à ce résultat, rapporte 20 minutes la FFR, fière de son effort collectif. « Nous avons vraiment essayé de travailler avec nos différents partenaires sur ce spectacle de lumière, de manière à le construire sous forme de spectacle, de travailler aussi sur les musiques iconiques, sur l’émotion, pour que tout cela devienne un peu légendaire. »
La FFR travaille sur « une petite surprise » pour le tournoi des VI Nations
Un détail qui n’en est pas un, la chaîne a été incluse dans ces discussions. « Nous avons convenu avec TF1 des répétitions en amont. Ils devaient bien capturer les images. » Pour cause, l’expérience fan n’est plus seulement une affaire de spectateurs sur place. Sans une exécution adéquate, le haka et les hymnes du 16 novembre n’auraient été qu’un grand moment à Saint-Denis, dont le reste du monde du rugby n’aurait pas su capter la quintessence. Là-bas, le succès fut tel que la Fédération française de rugby reçut des appels téléphoniques de ses homologues étrangers demandant la recette.
Pas de chance pour la compétition, la FFR a un temps d’avance et prépare déjà « une petite surprise » pour le tournoi des VI Nations 2025, rappelant que son engagement de moderniser le spectacle du XV de France datait déjà du tournoi 2024. Nous avons fait un show laser qui a illuminé toutes les lignes du terrain avant France-Angleterre. Il a également fait forte impression car il était innovant. Nous souhaitons continuer dans cette direction. » De quoi faire croire que la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde 2023, tant critiquée pour son côté anachronique, datait du siècle dernier.
Paradoxalement, cette nouvelle orientation des émissions sportives se définit par une affirmation d’un savoir-faire français (mais moderne) et une émancipation progressive des codes américains importés, symbolisés par la kisscam, la dansecam et tout ce qui finit par « cam », certes toujours présents dans le des avant-matchs au Stade de France, mais dont l’appropriation maladroite vire souvent au ringard. Pour son spectacle de la tournée d’automne, la FFR est donc partie d’une feuille blanche pour ne pas exagérer grossièrement ce qui avait été réalisé ailleurs. Ce que salue Thomas Pinguet, directeur clientèle chez Aimko, entreprise à qui l’on doit en partie la vasque de Paris 2024 mais aussi l’arrivée de la flamme à Marseille et autrefois l’animation du Masters 1000 à Bercy :
« La spécificité de l’expérience fan française, c’est la créativité. La créativité n’est pas une question de moyens, c’est une question d’idées. Si on prend ce qui a été fait pour France-Nouvelle-Zélande, éteindre le stade et mettre juste deux courses-poursuites sur chacune des deux équipes, ça ne coûte pas très cher. Mais ce n’est pas quelque chose qu’on a vu en Espagne pour un clasico, ce n’est pas quelque chose qu’on a vu dans le football américain pour le Super Bowl. C’est une idée créative et c’est pourquoi ça marche. »
Bercy, les JO… le sport français génère des moments forts
A défaut de disposer du pool de stars mondiales venues des Etats-Unis et de la trésorerie pour les inviter à chaque événement sportif – les JO sont une exception, une question de moyens, justement -, la France du sport excelle dans la mise en valeur des temps forts. Le tournoi de tennis de Bercy est devenu emblématique aux yeux des joueurs et des supporters avec son tunnel lumineux, rehaussé de miroirs lui donnant un aspect kaléidoscopique.
On sait déjà qu’il ne pourra pas être reproduit à La Défense l’année prochaine, et le bruit court que les équipes de Cédric Pioline se nouent les méninges pour trouver un nouveau moment épique pour le tournoi parisien. Que la fédération de tennis ne baisse pas les bras, LE moment peut parfois se créer par hasard. Aux JO par exemple, il n’était pas prévu que le bassin devienne le lieu de pèlerinage que l’on lui connaît.
« Ce qui était magnifique avec la vasque olympique, c’est qu’elle n’était pas prévue », confirme Thomas Pinguet. C’est à dire que lorsque nous y avons réfléchi avec Mathieu Lehanneur, le concepteur de Paris 2024, et ses prestataires, nous avons travaillé sur son éclairage le soir de la cérémonie et sur son fonctionnement. On s’est alors dit qu’on l’ouvrirait au grand public, mais avec des doutes sur la capacité à remplir tous les créneaux quotidiens. Et enfin, quand on voit l’enthousiasme qu’il y avait autour de la vasque, les dizaines de milliers de personnes qui se rassemblaient organiquement, chaque soir dans le jardin des Tuileries, qui partageaient ce moment, qui applaudissaient, qui filmaient, qui chantaient, c’est exceptionnel. »
Le Parc des Champions, lieu où sont célébrés les médaillés à Paris, a été bien pensé pour faire impression et contraster avec la solennité de l’habituelle « place des médailles ». Florent Manaudou et Léon Marchand torse nu et médailles autour du cou, c’est un peu beau, certes, mais suffisamment rafraîchissant pour que le CIO veuille reproduire l’expérience des JO de Los Angeles 2028. Paname influence le monde.