des couleurs et des sourires entre les gouttes


NARRATIF – Le défilé inaugural des Jeux Olympiques de Paris 2024 a dû faire face à une météo maussade. Mais il a donné le ton avec audace et créativité.

18h25, dans les couloirs du Palais d’Iéna, Thomas Jolly presse le pas pour une pause cigarette. Dans les coulisses de la cérémonie d’ouverture, lunettes noires et visage fermé, l’humeur du directeur artistique des cérémonies des Jeux a pris la couleur du temps. Paris s’est réveillé sous la pluie et a laissé passer toutes les nuances de gris jusqu’au spectacle qui ouvrira en beauté les XXXIIIet Olympiade de l’ère moderne. A une heure d’un événement appelé «  Ah, ça ira bien. »s’est ouvert sur l’humour de Jamel Debbouze perdu avec la flamme au milieu d’un Stade de France vide, avant de voir Zinédine Zidane s’emparer du flambeau et lancer l’histoire. Avec pour fil conducteur, la torche portée par un éclaireur masqué et les quatre-vingt-cinq bateaux accueillant les 6800 athlètes représentant 205 délégations. Sur un parcours de 6 km entre le pont d’Austerlitz et le pont d’Iéna. Au rythme d’un spectacle mettant en avant 2000 artistes (sur 3000 m2 scènes) nécessitant 200 jours de répétition reproduites sur 71 écrans géants par plus de 100 caméras.

Douze tableaux célébrant la femme et l’éclectisme se succèdent : « enchantée » (d’après le pont d’Austerlitz), « synchronicité » (devant Notre-Dame), « liberté » (devant le Pont-Neuf), « égalité » (sur le pont des Arts), « fraternité » (sur la passerelle Léopold-Sédar-Senghor), « sororité » (pont Alexandre III), « sportivité » (Grand Palais), « fête » (pont Debilly), « obscurité » (pont d’Iéna), « solennité » (au Trocadéro). Avant l’éternité (au pied de la tour Eiffel). Illuminée par les plumes de Lady Gaga reprenant «  Mon truc de plumes » de Zizi Jeanmaire, Aya Nakamura chantant Charles Aznavour avec la Garde Républicaine devant l’Institut de France, La Marseillaise revisité au sommet du Grand Palais par la cantatrice Axelle Saint-Cirel et sa robe bleu-blanc-rouge à traîne de 6 mètres. Et bravo à l’immense délégation française sous la passerelle Debilly qui s’est embrasée après avoir accueilli successivement un banquet, un défilé de mode sur une table transformée en podium. Avant de se transformer en piste de danse. Pour un festival de danse vertigineux pendant la fièvre d’un vendredi soir qui, la nuit tombée, avait fini par faire oublier la pluie. Avec un piano en feu, Juliette Armanet et Sofiane Pamart pouvaient, sur un radeau, laisser la Imaginéla chanson de John Lennon qui accompagne les cérémonies d’ouverture des Jeux Olympiques depuis 1996 à Atlanta…

Les membres de la délégation française lors de leur défilé sur la Seine.
Zhao Dingzhe / via REUTERS

Une soirée folle mêlant arts et sport

Les partisans du classicisme et de l’unité de lieu, d’un cahier des charges strict, ont dû parfois s’étonner de voir les coutures se fissurer (comme lorsque Philippe Katerine est apparu en Dionysos, dieu de la vigne, du vin, du théâtre, de la fête et de ses excès), ou être déconcertés par le travelling, le côté décousu, loufoque, la participation discrète des sportifs, le rôle effacé des porte-drapeaux, l’absence d’échange entre les personnalités politiques et les délégations avec la montée des acclamations dans le stade ou la première apparition d’un sponsor. Mais une fois la surprise passée, ils ont pu se laisser porter par l’ambition d’une soirée folle mariant les arts et le sport, célébrant les femmes et l’éclectisme. «  Victor Hugo a dit :« Il y a deux manières d’exciter une foule au théâtre. :par le grand et par le vrai. Le grand prend la masse. Le vrai prend l’individu ». Ces mots résonnent profondément en moi, car ils expriment parfaitement l’équilibre que je cherche à atteindre dans mon travail. : toucher à la fois le grand public et chaque spectateur individuel. C’est avec ces mêmes convictions que j’ai conçu cette cérémonie. Sortir du Stade, c’est déjà s’ouvrir au plus grand nombre et – de la même manière que Paris se transforme en stade – c’est la ville entière qui devient la grande scène de la cérémonie. L’entrée des athlètes par le fleuve en grande pompe évoque la pompa romaine antique. Aux côtés de nombreux monuments, comme s’ils traversaient l’Histoire de France »résume Thomas Jolly.

Après le tourbillon de lumières, la folie créatrice d’un cavalier remontant la Seine au galop sur un cheval de métal portant le drapeau olympique, l’écho des sons, le défilé des drapeaux au rythme des chevaux de la Garde républicaine fut majestueux. Tony Estanguet, président de Paris 2024, pouvait déclamer : «  Tu nous as manqué ! Bienvenue ici, 100 ans après nos derniers Jeux d’été, c’est un immense honneur. (…) On dit souvent que la France est le pays de l’amour. Ce que je sais, c’est qu’ici, quand on aime, on aime vraiment… Et entre la France et les Jeux, c’est une grande histoire d’amour. Cette histoire d’amour est née il y a 130 ans Il y a quelques années, à quelques kilomètres d’ici, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, Pierre de Coubertin proposait de faire revivre les Jeux Olympiques antiques. Cette histoire d’amour s’est développée avec les Jeux de Paris, Chamonix, Grenoble et Albertville. C’est évidemment une immense responsabilité de faire vivre cet héritage. Alors, nous y avons mis tout notre cœur. »

Un cavalier blindé accompagné de porte-drapeaux volontaires et de gardes républicains.
Hannah McKay/REUTERS

Avant d’ajouter : «  Et même si les Jeux ne résoudront pas tout, même si la discrimination et les conflits dans le monde ne disparaîtront pas, vous nous avez rappelé ce soir à quel point l’humanité est belle lorsqu’elle se rassemble. Et lorsque vous reviendrez au village olympique, vous enverrez un message d’espoir au monde. : il existe un lieu où cohabitent toutes les nations, toutes les cultures et toutes les religions. Vous nous rappellerez que c’est possible. Durant les 16 prochains jours, vous serez la plus belle version de l’humanité. Vous nous rappellerez que les émotions du sport sont un langage universel que nous partageons tous. Jusqu’au 11 Août, nous vivrons chaque seconde avec toi. Tes défaites seront nos défaites. Tes victoires seront nos victoires. Tes émotions… seront nos émotions. (…) Et désormais, Paris 2024 t’appartient. »

La séquence émotionnelle avec Céline Dion

Allumé à Olympie le 16 avril, transmis par la Grèce à la France à Athènes, dix jours plus tard, arrive à Marseille le 8 mai en provenance des Pyrénées à bord du Belémla flamme a ensuite traversé 64 territoires (dont cinq outre-mer) et plus de 400 villes. Portée par plus de 10 000 scouts, elle a couru, marché, nagé, grimpé, partagé sa chaleur, son histoire, et a été suivie quotidiennement par une foule enthousiaste. Elle a pu s’offrir aux derniers porteurs. Avec Zinédine Zidane pour lancer la dernière séquence. Avec un somptueux jeu de lumière autour de la Tour Eiffel pour strier la pluie et danser avec Cerrone pendant que Rafael Nadal, Serena Williams, Nadia Comaneci et Carl Lewis remontaient la Seine avec la flamme.

Zinedine Zidane transmet la flamme olympique à Rafael Nadal.
Dylan Martinez / REUTERS

Nous voulions une personnalité avec une grande voix qui ait un lien avec la France. (…) Ça a été une longue discussion jusqu’à ce qu’on lui explique le concept, ce que j’avais imaginé en termes de scénographie.

Thomas Jolly, directeur de la cérémonie d’ouverture de Paris 2024, à propos de Céline Dion

Céline Dion a chanté avec émotion L’hymne à l’amour : «  C’était une manière d’évoquer Edith Piaf. On voulait une personnalité avec une grande voix qui avait un lien avec la France. Elle l’avait chantée après les attentats de 2015, en hommage à Paris. Ça a été une longue discussion. Ça a été une longue discussion jusqu’à ce qu’on lui explique le concept, ce que j’avais imaginé en termes de scénographie, en termes de placement dans la cérémonie, comment ça s’inscrivait dans un film narratif. Et elle a dit oui, avec sa santé fragile et le fait qu’elle n’avait pas chanté depuis longtemps. »déclare Thomas Jolly. «  Un peu risqué, mais on aime ça de temps en temps. »plaisante Tony Estanguet.

Perec et Riner allument le chaudron-ballon

Puis Amélie Mauresmo et Tony Parker. Avant dix-huit médaillés d’or aux Jeux olympiques ou paralympiques : Clarisse Agbégnénou, Félicia Ballanger, Alain Bernard, Charles Costes (plus vieux champion olympique vivant ; médaillé d’or en cyclisme sur piste en poursuite par équipes en 1948), David Douillet, Laura Flessel, Marie-Amélie Le Fur, Mickaël Guigou, Jean-François Lamour, Renaud Lavillenie, Emile Le Pennec, Alexis Hanquinquant, Laure Manaudou, Allison Pineau et Florian Rousseau. Après 3 heures et 45 minutes de grand spectacle, Marie-José Pérec et Teddy Riner ont pu allumer la vasque-ballon dans les jardins des Tuileries. Paris 2024 avait vu grand et avait su garder quelques surprises. Trente-deux ans après la poésie et la magie de Philippe Découflé, la France a su se distinguer. La cérémonie d’ouverture du 26 juillet 2024 restera dans les annales. La première en ville. Dans une Ville Lumière qui savait danser sous la pluie, l’esprit français flottait. Il y avait de la vie, de l’envie. Après le début des épreuves mercredi, les premières médailles seront distribuées ce samedi. Encore une journée de fête…

La vasque olympique dans le ciel parisien.
Pilar Olivares / REUTERS

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Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides

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