Rakus a une trentaine d’années. Cet orang-outan de Sumatra a été observé en juin dernier avec une vilaine blessure au visage, exposant sa chair sous son œil droit, le long de ses narines. Une blessure reçue « probablement lors d’une bagarre avec un mâle à proximité », selon Isabelle Laumer, primatologue à l’Institut allemand Max Planck et première auteure d’une étude rapportée jeudi dans la revue Scientific Reports. L’animal est suivi avec quelque 130 congénères, tous à l’état sauvage, dans une zone du parc national indonésien de Gunung Leuser.
Trois jours après sa blessure, Rakus a commencé à mâcher des feuilles d’une vigne, appelée localement Akar Kuning (Fibraurea tinctoria). Mais au lieu de l’ingérer, il apporta ses doigts enduits du jus de la plante sur sa plaie vive. Avant de le recouvrir entièrement de pulpe de liane. Cinq jours plus tard, la plaie était refermée. Deux semaines plus tard, elle laissait une cicatrice à peine visible.
Pharmacopée traditionnelle
Le « remède » utilisé n’est pas miraculeux, il fait partie de la pharmacopée traditionnelle de la région, de la Chine à l’Asie du Sud-Est. Cette vigne et d’autres semblables « sont utilisées comme remèdes traditionnels pour différents maux, comme le paludisme », selon le biologiste cognitif cité par Max Planck. Grâce à des propriétés antibactériennes et anti-inflammatoires, entre autres. Selon l’étude, il s’agit du premier « cas documenté de traitement d’une plaie avec une espèce végétale contenant des substances biologiques actives par un animal sauvage ».
Si elle était confirmée par d’autres observations, elle viendrait compléter une liste croissante de comportements d’automédication chez les animaux, notamment chez les primates. Dans les années 1960, la célèbre primatologue Jane Goodall a observé pour la première fois que les chimpanzés ingéraient des feuilles, dont le rôle antiparasitaire a ensuite été révélé. Un comportement observé depuis chez les bonobos et les gorilles, avec une sélection par l’animal des plantes ingérées, dont la connaissance serait transmise par les femelles.
Coïncidence?
Plus récemment, des chercheurs ont observé des orangs-outans de Bornéo, également à l’état sauvage, mâchant les feuilles d’une plante médicinale avant de la frotter uniquement sur leurs membres. Coïncidence? Dracenea cantleyi est généralement utilisé par les populations autochtones pour traiter les douleurs musculaires et articulaires…
L’étude estime que le comportement de Rakus, comme celui de ses homologues de Bornéo, était bien intentionné. Avec un traitement répété et minutieux d’un lieu bien précis, « qui a pris un temps considérable », selon Isabelle Laumer. Co-auteur de l’étude, le Dr Caroline Schuppli n’exclut pas une « innovation individuelle », d’origine accidentelle.
Soulagement immédiat
Rakus aurait pu involontairement appliquer le jus de la plante sur sa blessure, juste après avoir mis ses doigts dans sa bouche. Comme la plante a un effet analgésique, les singes « peuvent ressentir un soulagement immédiat, les poussant à répéter l’opération plusieurs fois », selon ce responsable du groupe Développement cognitif et évolution chez Max Planck.