des Bleus de moins en moins prudents face à l’actualité politique
L’Euro de football va-t-il se transformer en une tribune sur la situation politique en France ? Alors que les dirigeants de la fédération apparaissent prudents, voire frileux sur le sujet, les joueurs prennent la parole. « Je pense que nous sommes à un moment crucial de l’histoire de notre pays. La situation est inédite, c’est pourquoi je veux m’adresser à tous les Français et à la jeune génération qui peuvent faire la différence. J’appelle les jeunes à aller voter, on voit que les extrêmes sont aux portes du pouvoir, nous avons la possibilité de choisir l’avenir de notre pays”a indiqué dimanche 16 juin Kylian Mbappé, affirmant être « contre les extrêmes, les idées qui divisent »
Samedi, Marcus Thuram a pris une position claire et très visible. « Il faut se battre pour que le RN ne passe pas » a déclaré le fils de Lilian Thuram, connu pour son combat contre le racisme. « Je pense que la situation est triste, très grave, a estimé Marcus Thuram. Je ne pense pas que ce soit très compliqué de s’exprimer là-dessus, cela vient de mon éducation, je sais que beaucoup de gens me suivent sur les réseaux, je suis obligé de faire passer certains messages.
Samedi soir, sans désavouer Marcus Thuram, la Fédération française de football (FFF) a publié un communiqué témoignant d’un certain embarras. Certes, il n’est pas question pour les dirigeants d’interdire aux joueurs de s’exprimer sur les élections. « Chacun d’entre eux a pu s’exprimer librement » souligne la Fédération qui souhaite néanmoins que « Sa neutralité en tant qu’institution, ainsi que celle de la sélection nationale dont elle a la charge, est comprise et respectée de tous. A ce titre, il convient d’éviter toute forme de pression et d’utilisation politique de l’équipe de France.
» Le poids des sponsors »
Cette petite précision n’étonne pas Stanislas Frenkiel (1), historien et enseignant-chercheur à l’Université d’Artois. « Comme toutes les grandes instances sportives, la FFF vit du mythe de la neutralité du sport, de la règle absolue de l’apolitisme. Pour elle, l’euro doit rester un événement sportif et rien d’autre. Il est probable que son développement n’est pas étranger au poids des sponsors qui, en général, ne souhaitent pas vraiment que la politique, source de divisions partisanes, soit impliquée dans la communication autour d’une compétition que les entreprises souhaitent très consensuelle et fédératrice. »
Ce n’est pas la première fois que les Bleus sont confrontés au sujet de l’extrême droite. La question s’était déjà posée en 2002, avant le second tour entre Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen. Peu dit sur des sujets ne relevant pas du football, Zinédine Zidane a tout de même affirmé que le FN était un « parti qui ne correspond pas du tout aux valeurs de la France ».
Mais en général, les footballeurs prennent peu position sur les questions politiques. « Il existe encore une forte culture du « no wave » dans le monde du football où beaucoup estiment que les joueurs ne sont pas légitimes à donner leur avis, qu’ils sont avant tout des corps et non des esprits.» estime Stanislas Frenkiel tout en constatant que la donne évolue un peu avec de nouvelles générations d’acteurs, soucieux de ne pas rester en dehors de certains sujets brûlants comme les violences policières.
Plusieurs joueurs s’étaient indignés en octobre 2018 des coups infligés par quatre policiers au producteur de musique Michel Zecler. « Je me sens mal pour ma France », a écrit Antoine Griezmann dans un tweet tandis que Kylian Mbappé dénonçait « violences inacceptables ». Comme d’autres coéquipiers, la star des Bleus est également montée au créneau en juin 2023 après la mort de Nahel, 17 ans, tuée par un policier à Nanterre. « C’est toujours pour les mêmes personnes que la faute entraîne la mort »» a également déclaré le gardien Mike Maignan.
« Avec les réseaux sociaux, les joueurs peuvent réagir très vite »
Ces positions contrastent avec ce qui s’est passé en 2005 après la mort de deux autres adolescents franciliens, Zyed Benna et Bouna Traoré à Clichy-sous-Bois. Les footballeurs sont alors restés largement silencieux. « Ce qui change, c’est d’abord qu’avec les réseaux sociaux, les joueurs peuvent réagir très rapidement, sans filtre et en dehors des circuits de communication habituels », souligne Stanislas Frenkiel, conscient que les joueurs sont souvent accusés d’être » Au-dessus du sol « lorsqu’ils prennent position dans le débat.
« On leur dit qu’ils sont des millionnaires privilégiés qui n’habitent pas dans les quartiers où se produisent ces violences. Mais on oublie que beaucoup de footballeurs viennent de ces quartiers et qu’ils ont toujours des membres de leur famille ou des amis qui leur racontent ce qui peut s’y passer.
Difficile, au final, d’évaluer l’impact des propos des Bleus sur les électeurs. «Ils peuvent avoir une influence sur les jeunes qui n’ont pas voté aux élections européennes. Mais je doute qu’une personne, qui a voté RN, change son vote après avoir entendu Mbappé ou Thuram.» estime Stanislas Frenkiel.
(1) auteur de Le Football des Immigrés France Algérie, l’histoire partagée, 2021, éditions Presse universitaire Artois