Derrière les pilotes, pourquoi le classement des constructeurs est un enjeu plus important qu’il n’y paraît
Le titre de champion du monde des constructeurs, qui se jouera dimanche à Abou Dhabi, est moins médiatisé que celui des pilotes. Il reste cependant le rouage essentiel de la pérennité d’une écurie de F1.
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Max Verstappen a beau être sacré depuis deux semaines, le suspense est toujours présent en Formule 1, à l’aube du dernier Grand Prix de la saison à Abou Dhabi dimanche (14 heures). Pour les pilotes, reste à savoir qui sera le vice-champion du Néerlandais entre Charles Leclerc et Lando Norris, séparés de huit points, même si le premier a écopé vendredi d’une pénalité de dix places pour un changement de batterie.
Mais c’est surtout au classement des constructeurs que l’enjeu sera crucial, avec le titre à attribuer entre le leader McLaren (640 points) et Ferrari (619). Moins médiatisé, ce classement revêt néanmoins une importance essentielle au niveau financier et marketing pour les équipes.
Car chaque année, des primes sont versées en fin de saison aux constructeurs en fonction des recettes commerciales de les organisateurs de courses, ceux qui accueillent les Grands Prix, les droits de télévision ou le sponsoring. « Tous ces revenus sont centralisés dans une cagnotte commune, qui est redistribuée entre les équipes.explique notre consultant Cyril Abiteboul, Team Principal de l’équipe Renault de 2016 à 2021. « Cette redistribution comporte trois éléments. Le premier est lié à la participation, donc toutes les équipes reçoivent la même chose. Le second est lié au classement de la saison qui vient de se terminer. Le troisième reflète les performances historiques des équipes depuis que la F1 existe.il explique.
Si les montants précis sont gardés secrets, cette marmite commune est de plus en plus juteuse grâce à la bonne santé de la F1. Et donc accru l’importance de la place dans le classement des constructeurs. « Cette formule repose sur un gâteau bien plus gros qu’auparavant. »se souvient Cyril Abiteboul. D’autant que la part que prend la F1 est bien moins importante depuis les nouveaux accords, signés en 2020. « Au temps de Bernie Ecclestone (patron de la F1 du début des années 1980 à 2017)La F1 pourrait conserver près de 50 % des revenus. Il a été très fortement renégocié, il est désormais plus conforme aux pratiques »poursuit notre consultant.
« Il y avait de très grandes disparités entre les équipes. Red Bull et Ferrari avaient signé des contrats très avantageux. Les dernières négociations ont rendu les choses beaucoup plus égales »
Cyril Abiteboul, manager de l’équipe Renault entre 2014 et 2021sur franceinfo : le sport
Avec un système plus équitable, les équipes voient désormais beaucoup plus d’intérêt à améliorer leur classement constructeur. Pour le vainqueur, mais aussi pour les places plus éloignées. C’est pourquoi une sixième place (sur dix) – qu’Alpine disputera dimanche à Haas – n’est pas anecdotique puisqu’un écart de rang représente une différence d’environ dix millions d’euros. « Il y a un problème de réputation mais aussi un problème financier. Ce n’est pas l’équivalent d’un sponsor titre, qui est plutôt de l’ordre de 30 ou 40 millions, mais d’un bon sponsor secondaire. Donc tout revenu qui rentre dans l’entité permet de réduire le coût net au final pour l’actionnaire »le juge Cyril Abiteboul.
Le classement constructeurs reste ainsi un objectif prioritaire pour les équipes qui ne peuvent pas se battre pour le titre pilotes, et elles sont nombreuses. Cet objectif, qui peut être assumé en début de saison, peut également décliner en fonction des résultats. C’est le cas de Red Bull, double champion des constructeurs en titre, qui devrait terminer 3ème cette saison. « J’ai l’impression qu’il y a moins de détermination de leur part. Ils ont convenu de ne pas vraiment se battre pour le championnat des constructeurs car Sergio Pérez a évidemment condamné ce titre.«
Avec Verstappen champion et Perez seulement 8ème, ce sont McLaren (Norris et Piastri) et Ferrari (Leclerc et Sainz), chacune avec deux pilotes d’un niveau proche, qui se frottent les mains et se départageront à Yas Marina. « Ils tous les deux veulent vraiment ce titre car cela fait un moment qu’ils ne l’ont pas obtenu »rappelle notre consultant. Pour Ferrari, le dernier titre remonte à 2008, tandis que pour McLaren, il remonte à une décennie supplémentaire, à 1998.
Si l’objectif d’une saison pour une équipe est plus collectif que pour les pilotes, qu’en est-il des sponsors, qui ne recherchent que de la visibilité pour la marque ? « Je pense que le titre pilote a un peu plus d’impact médiatique. Parce que c’est un sport qui est avant tout soutenu par des ambassadeurs. D’un autre côté, il y a des sponsors très associés au développement technologique », explique Cyril Abiteboul, qui prend exemple sur Renault. « Nous avions des partenaires pétroliers beaucoup plus tournés vers la communication constructeur. C’était donc plutôt la progression dans ce classement qui comptait. »
La « stratégie du conducteur », plus visible et marquante auprès du grand public, reste la plus efficace, mais encore faut-il avoir le bon cheval dans son écurie. Et il vaut mieux que ce soit un pur-sang capable de durer et de résister à la pression. « Je trouve cette stratégie risquée. Si ça fait trop longtemps, on devient accro à un chauffeur. Red Bull joue un jeu dangereux en se rendant entièrement dépendant du succès de Verstappen. Lorsque cet alignement se fissure, il est très compliqué de recomposer derrière. Parce que souvent, les pilotes deviennent plus importants que la marque. Et ça, pour un constructeur, c’est compliqué à gérer sur le long terme. »conclut Cyril Abiteboul.