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Derrière le « marketing » des valeurs de l’Ovalie, le rugby masculin, terreau des violences sexuelles

La troisième mi-temps s’est terminée en cellule. Les rugbymen français Oscar Jegou et Hugo Auradou ont été inculpés de viol aggravé à la suite d’une plainte d’une femme qui avait dénoncé des violences commises dans leur hôtel de Mendoza, en Argentine, après un match du XV de France.

L’avocat du plaignant a raconté une nuit de « violence excessive »« citant comme preuve « le corps de la victime, (OMS) « parle de lui-même ». Alors que les deux joueurs, qui invoquent « une relation consensuelle », ont été libérés de prison pour être placés en résidence surveillée mercredi 17 juillet, et les auditions de témoins se poursuivent à Mendoza.

Contacté par franceinfo, le président de la Fédération Française de Supporters de Rugby, Franck Lemann, a déclaré sans hésiter : « Ce type de dérapage n’est pas conforme aux valeurs » de ce sport d’équipe. Il n’est pas le seul à le penser. Les acteurs institutionnels du monde du rugby, emmenés par le président de la Fédération Française de Rugby, ont tous « Il a tenu à rappeler que l’affaire argentine ne représente en rien le rugby ou les rugbymen »observe Carole Gomez, spécialiste de la géopolitique du rugby et doctorante à l’Université de Lausanne (Suisse).

De tels faits « atroce », « s’ils sont prouvés » comme l’a précisé la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castera, serait donc contraire aux « valeurs de l’Ovalie », construites sur la discipline, l’intégrité et le respect. Une spécificité du ballon ovale ? La pratique du sport « n’est pas porteur d’autres valeurs que celles dont la société l’investit », balaie Carole Gomez. Le concept est devenu, pour les clubs et les fédérations, un « argument marketing » redoutable, ajoute le chercheur.

L’argument des valeurs nobles liées au rugby qui seraient incompatibles avec les violences faites aux femmes reviennent néanmoins sans relâche. En 2023, le pilier des Bleus Mohamed Haouas a été condamné à un an de prison pour violences conjugales. Le club de l’ASM Clermont Auvergne, qu’il devait rejoindre, annonce qu’il ne pourra pas porter ses couleurs en raison de son comportement « en opposition avec (son) condamnations ». Ce qui ne l’a pas empêché de rejoindre l’équipe de Biarritz, puis de Montpellier la saison suivante.

Son cas n’est pas isolé : pour des faits similaires, le pilier de Castres (Tarn) Wilfrid Hounkpatin a été condamné en avril à douze mois de prison avec sursis. Le club a de nouveau dénoncé « actions en totale contradiction avec (son) valeurs »mais l’a réintégré peu après. Quant au joueur du Top 14 George Tilsley, il a écopé de six mois de prison avec sursis en août 2023. Ejecté par le Stade Toulousain, Agen puis Angoulême l’ont ensuite accueilli.

Moins de trois mois avant que l’affaire du XV de France n’éclate en Argentine, plusieurs joueurs juniors du club de Bourg-en-Bresse ont fait l’objet d’une plainte pour viol sur une femme, en marge d’un déplacement sportif. On peut enfin citer l’accusation de cinq anciens rugbymen grenoblois pour le viol collectif, en 2017, d’une femme qui avait 20 ans au moment des faits. Lors du procès, qui devrait se tenir en décembre, trois d’entre eux seront jugés pour viol et deux pour non-assistance à personne en danger.

Loin du mythe de « sport de hooliganisme pratiqué par des gentlemen »le rugby fait principalement partie de « une idéologie de la virilité »souligne Philippe Liotard, anthropologue et spécialiste des violences sexuelles dans le sport. Une culture « virile » qui peut « allant jusqu’à s’imposer aux autres« , ajoute le chercheur.

« Pour pouvoir remporter le rapport de force physique, l’affirmation de soi nécessite de s’affirmer sur les autres. »

Philippe Liotard, anthropologue et spécialiste des violences sexuelles dans le sport

à franceinfo

Le caractère combatif de la discipline contribue au phénomène. « Nous cherchons à anéantir la force de l’autre », corrobore l’anthropologue et chercheuse indépendante Anne Saouter, spécialiste de la production de corps sexualisés dans les pratiques sportives. « Pour y parvenir, le toucher est permanent, bien que très réglementé », elle continue.

Pour que le rapport au corps soit désacralisé et que ces contacts puissent se produire sur le terrain, « rituels » sont mis en place après le match, lors de la fameuse troisième mi-temps, lorsque les joueurs « défaire le corps collectif autour de la boisson, de la fête, des jeux », résume le chercheur.

Dans le bus qui revient d’un voyage, il n’est pas rare de voir des sportifs « se déshabiller »continue l’anthropologue. Au fur et à mesure que la soirée avançait, « certains iront uriner, déféquer à un endroit », ou même se livrer à « dégradations » de matériel, énumère-t-elle. Les situations se produisent souvent « fixé en interne par les clubs », dans le cadre « de lever les bretelles », sans autres conséquences.

Lors de ces débordements ou actes de violence, les crampons sont certes retirés et les maillots rangés dans les vestiaires, mais doit-on pour autant séparer la troisième mi-temps de la discipline sportive ? « Ces moments de fête permettent de créer des liens, de la solidarité, de renforcer l’esprit d’équipe, et donc de contribuer à la performance », juge le sociologue du sport Seghir Lazri.

Cela résume : « Les espaces de déviance sont pleinement intégrés au rugby. La troisième mi-temps permet de produire le spectacle qu’est le rugby. (Ce sport) « produit une masculinité dite hégémonique, qui discrédite les femmes et les assigne à une certaine place. »

Dans cet univers d’après-match, qui se joue principalement « entre amis », dans un cercle fermé de genre, mais aussi d’origine sociale et raciale, des femmes qui s’aventurent à partager la bodega, le bar ou la boîte de nuit avec le «  » mec du club «  sont objectivés. « Les athlètes ont de la considération pour « La femme qui prépare le sac de sport ou qui emmène les enfants… Bref, celle qui s’occupe de la gestion du foyer et permet donc de mener à bien une carrière sportive. Celle qui participe à la troisième mi-temps ne correspond pas au standard de la femme idéale », poursuit Seghir Lazri.

« La fille à la fête est un objet sexuel. »

Anne Saouter, anthropologue

à franceinfo

Les femmes sont alors intégrées dans une perspective d’échanges sexuels, lors de ce que l’anthropologue Anne Saouter appelle « la quatrième moitié »Jeux sexuels « avec les groupies, ou parfois avec les call-girls (les prostituées)avoir lieu là-bas ». Dans « les soirées de ces gars-là », le président de la Fédération Française des Supporters de Rugby, admet la présence, « occasionnel », « de parties ajoutées » et des histoires sexuelles, mais qui, à l’exception d’éventuelles « glissements marginaux »serait « toujours consentant ». « Un joueur ou un supporter qui se comporterait de manière inappropriée pendant la troisième mi-temps serait sanctionné par les participants. »il assure.

Une description joyeuse et collective qui s’écarte du récit donné à franceinfo par plusieurs femmes travaillant dans un milieu similaire. « J’étais étudiant dans un pays de rugby, et comme dans d’autres environnements festifs, nous savions qu’il fallait se protéger »se souvient Eva, membre de l’association féministe La Mèche, basée à Agen (Lot-et-Garonne). Elle dit avoir dû « déployer des stratégies d’évitement » pour assurer sa propre sécurité lorsqu’elle partageait les lieux de fête avec les joueurs de rugby. Elle souligne que ces situations font partie « dans le contexte plus large de la culture du viol« , présent « dans toutes les sphères de la société ».

Dans le monde de la troisième moitié, plus que dans d’autres sphères de la société, l’alcool est omniprésent. « C’est l’image de la France des clochers, des rugbymen qui sont des gars du coin, des braves qui mangent bien et qui boivent des shots »illustre le sociologue Seghir Lazri. Consommation rituelle et excessive d’alcool pouvant entraîner une mise en danger de soi-même et d’autrui, en plus de constituer une circonstance aggravante en droit français).

La boisson est en effet « un facteur de risque important dans le domaine de la violence, sans qu’il représente une cause nécessaire ou suffisante »nous pouvons lire dans la première étude de la Direction générale de la santé (Document PDF) sur le sujet, publié en 2008. Plus récemment, une enquête menée par Monde ont en outre démontré que l’alcool jouait un rôle majeur dans « violence ordinaire »notamment en matière de violences sexuelles.

« Pendant des années, on nous a vendu des joueurs qui n’étaient plus dans ces excès. Maintenant, le vernis craque », s’exclame l’ancien international de rugby Laurent Bénézech. L’ancien champion regrette l’augmentation « comportement antisocial » parmi les joueurs professionnels.

« Certains joueurs ont de plus en plus de mal à faire la différence entre ce qui est inhérent à un sport de combat et ce qui correspond à la vie de tous les jours. »

Laurent Bénézech, ancien international de rugby

à franceinfo

Une situation qui, selon lui, est aggravée par la professionnalisation du rugby, qui va de pair avec un entourage qui gère les sportifs.en tant que mini-PME ». Les conseillers et amis des joueurs auraient ainsi tendance à fermer les yeux sur les actions de leurs protégés, « même lorsqu’ils s’écartent ».

Dans le cadre de la tournée de l’équipe de France en Argentine, ces mêmes jeunes, survalorisés et placés dans une bulle, sont ensuite « relâchés dans la nature après une victoire comme s’ils avaient dix ans de plus », il regrette. Des indices explicatifs qui « « n’excuse rien », mais « peut créer des conditions » propice à la violence, résume l’ancien champion.

L’environnement est-il prêt à évoluer après l’affaire argentine ? « Il y aura bien sûr un avant et un après Mendoza »a promis mardi le patron de la Fédération française de rugby, Florian Grill, en annonçant une « tolérance zéro » contre les actes répréhensibles des joueurs. Tout en défendant « l’esprit de la troisième mi-temps ».

Cammile Bussière

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