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Derrière l’affaire Ÿnsect, le secteur de la transformation des insectes cherche la bonne recette

La mort annoncée d’une industrie émergente ? « Les services de l’Etat sont en contact étroit avec ses dirigeants pour faciliter la recherche d’une solution »a déclaré le nouveau ministre de l’Industrie, Marc Ferracci, à propos de la situation d’Ÿnsect. Cette start-up industrielle qui transforme les insectes en protéines destinées notamment au marché du petfood a ouvert il y a quelques jours une procédure de sauvegarde à son encontre, car elle se retrouvait à court de liquidités. Pourtant, depuis ses débuts, elle a levé 625 millions de dollars et vient de lancer l’exploitation de sa gigafactory non loin d’Amiens, à Poulainville (Somme). Elle recherche désormais de nouveaux investisseurs pour continuer. Son cas est-il isolé ?

La start-up Ÿnsect placée en procédure de sauvegarde, les raisons de la sortie de route

« Je suis très inquiet pour l’ensemble du secteur, il y a un risque de décès dans les mois à venir en raison de difficultés de financement », craint Matteo Neri du cabinet Xerfi, auteur d’une étude sur la filière française de transformation d’insectes.

Depuis la naissance de cette filière au milieu des années 2010 avec l’espoir fou de remplacer les protéines animales dans l’alimentation humaine par des compléments à base de protéines d’insectes, la France a vu émerger plusieurs acteurs sur le sujet. Aujourd’hui, la France est même considérée comme le leader mondial sur la question avec des sociétés comme Ÿnsect, Innovafeed et Agronutris. Ensemble, ces start-up industrielles ont levé plus d’un milliard d’euros en France ces dernières années, pour un chiffre d’affaires encore loin du compte. Les pertes s’accumulent et pourtant les marchés ne manquent pas : nourriture pour animaux de compagnie ou pisciculture, engrais agricoles et demain humains.

Ces entreprises innovantes ont-elles eu raison trop tôt ? Sommes-nous à l’aube d’un krach financier pour de nombreux investisseurs ? Ce secteur a cependant favorisé l’émergence de plusieurs usines dans le pays et la création de centaines d’emplois industriels.

« Le cas Ÿnsect est un symbole des défis qui attendent les start-up industrielles en France – avec un accès au financement de plus en plus complexe, des taux élevés et des investisseurs de plus en plus difficiles à convaincre -, plutôt qu’un sujet sur notre secteur. Nous produirions 100 fois plus que ce que nous faisons actuellement, cela serait épuisé car la demande est là. Le véritable enjeu est de trouver un projet industriel qui évite ces écueils», observe Clément Ray, président d’Innovafeed, contacté par La Tribune.

Financements, fonciers… Les start-up industrielles s’organisent pour faire entendre leurs besoins

Aller trop vite, un des dangers

Selon l’étude du cabinet Production européenne en 2030. Dans ce contexte, « les années 2024 et 2025 doivent constituer un tournant pour les acteurs du secteur afin de sortir de la pré-industrialisation et de s’orienter vers l’industrialisation de leurs procédés »estime Matteo Neri. En ce sens, Innovafeed a inauguré cet été la troisième et dernière extension de son site de production, situé à Nesle (Somme), après avoir bouclé un tour de table de 250 millions d’euros à la fin de l’été 2022. Ce qui porte la surface au sol de son site principal à 55 000 m2.

« Nous devons procéder étape par étape dans le passage à l’échelle afin de réduire au maximum les risques de chaque phase en trouvant le bon équilibre entre rapidité et prise de risque. Nous avons commencé avec un site pilote, puis nous l’avons agrandi, avant de lancer la construction de notre site de production et de l’accélérer en trois phases. Au cours du premier mois de la phase 3, nous avons produit autant que lors des 18 mois de la phase 1. Mais nous sommes encore très loin de répondre à la demande. Il n’est pas nécessaire de se précipiter. Il s’agit d’un défi industriel et non commercial », décrit Clément Ray.

La réindustrialisation de la France marque le pas

A ce jour, Innovafeed, qui ne souhaite pas communiquer son chiffre d’affaires mais qui dit vouloir viser la rentabilité en 2026, est capable de produire 15 000 tonnes de protéines d’insectes par an, un marché qui représente 70 % de son activité. L’entreprise, également impliquée dans la production d’engrais organiques pour la viticulture à partir de ses insectes, affirme avoir décroché un contrat d’un milliard d’euros pour la décennie à venir.

Quant à l’entreprise toulousaine Agronutris, qui a bouclé une levée de fonds de 100 millions d’euros en 2021, le premier contrat phare a été signé avec Biomar, leader international de l’alimentation durable pour poissons d’élevage. Pour y répondre, la biotech développe également une première usine à grande échelle dans les Ardennes, sur 16 000 m2.

« Nous nous différencions également d’Ÿnsect par notre stratégie de déploiement, « étape par étape », avec des fonds levés en adéquation avec notre développement : 100 millions d’euros en 2021 pour la construction d’une première usine d’une capacité de production de 5 000 tonnes de protéines », réagit sommairement la direction d’Agronutris.

Le choix de l’insecte est un élément clé

Si, entre les lignes, il faut comprendre que de nombreux acteurs critiquent la rapidité de déploiement d’Ÿnsect, qui est passée du site pilote à la gigafactory sans étape intermédiaire, ce sont aussi et surtout des schémas d’organisation industrielle qui s’y opposent. Dans le secteur, deux visions majeures s’affrontent. A l’instar d’Ÿnsect, Innovafeed et Agronutris, les acteurs ont choisi un modèle industriel avec toutes les étapes intégrées, de la naissance des insectes, à leur phase de croissance et leur transformation.  » C’est un modèle très capitalistique, mais dans un contexte où l’argent n’est plus gratuit comme c’était le cas et où les levées de fonds sont plus difficiles à réaliser, ce choix peut s’avérer périlleux. », note l’expert Xerfi Matteo Neri.

Du côté d’Innovafeed, nous affirmons que ce modèle permet 10 à 15 % d’économies sur les coûts d’exploitation en optimisant les flux logistiques. Face à ce modèle, il y a celui de l’organisation décentralisée, telle que la pratique la société Invers non loin de Clermont-Ferrand, avec seulement 22 millions d’euros investis depuis 2016.

Protéines d’insectes : Invers s’équipe d’un nouveau couvoir pour structurer la filière en Auvergne-Rhône-Alpes

« Nous nous occupons de la partie reproduction des insectes et nous avons des agriculteurs partenaires sur la partie engraissement. Nous installons le processus technologique directement chez eux. A ce jour, nous disposons de sept bâtiments déployés en région Auvergne-Rhône-Alpes et trois sont en cours de construction. Chaque unité est capable de produire 20 tonnes d’insectes par mois. Ensuite, nous les récupérons pour les transformer dans notre usine », décrit Sébastien Crépieux, cofondateur et codirecteur d’Invers.

Forte de sa trentaine de salariés, bien loin des 340 salariés d’Innovafeed, la jeune entreprise vise la rentabilité en 2025 en se concentrant principalement sur la vente de protéines d’insectes pour nourrir les élevages de poissons, mais aussi d’oiseaux ou encore de poulets domestiques. Avec une installation de 6 000 m2 pour son site principal, Invers envisage une levée de fonds « pour accélérer ». Mais la jeune pousse a-t-elle la bonne recette d’insecte pour continuer à croître ? Au-delà de l’organisation industrielle, le choix de l’insecte comme matière première fait également débat au sein de la filière.

« Nous nous différencions d’Ynsect par le choix de notre insecte : la mouche soldat noire, dont le cycle de vie est plus court que le ver de farine (cultivé par Ynsect, ndlr), son excellent pouvoir de bioconversion et la diversité de son alimentation. ses larves en font une espèce plus efficace pour l’élevage à l’échelle industrielle », souligne la direction d’Agronutris.

Si Invers a fait le même choix que Ÿnsect en optant pour le ver de farine, les autres acteurs ont opté pour la culture de la mouche soldat noire. « Agronutris était sur le même bug que Ÿnsect jusqu’en 2018, puis l’entreprise a fait un pivot intelligent. Le ver de farine coûte beaucoup plus cher à cultiver que la mouche soldat noire. »prévient un expert du secteur.

Alors, sur la recette, qui a raison ? Qui a tort ? Seul le temps donnera des réponses. Pour le moment, tout le monde semble au même niveau sur la ligne de départ. Si aucun acteur ne souhaite communiquer son chiffre d’affaires, les derniers rapports publics montrent une situation similaire pour tout le monde malgré de lourds investissements réalisés et des pertes importantes pour tous. En 2023, la société toulousaine Agronutris a réalisé un chiffre d’affaires proche de 200 000 euros. Ses concurrents directs annonçaient alors 3,23 millions de chiffre d’affaires pour Ÿnsect en 2022 et 2,12 pour Innovafeed à la même date. Avec son modèle décentralisé, Invers se situait dans cette fourchette à la même période.

La réindustrialisation menacée par un rattrapage budgétaire ?

Malgré ces chiffres d’affaires insignifiants, tous ces acteurs sans exception ont des projets de développement. Agronutris travaille à la construction d’une deuxième usine en France, tandis qu’Innofeed prépare son implantation aux Etats-Unis avec un autre site industriel. Parallèlement, Invers construira une nouvelle unité de transformation à Angers. Le problème ? Se développer, petit à petit, pour faire baisser les prix de leurs protéines d’insectes et ainsi lutter contre la concurrence de la farine de poisson importée en Europe, nocive pour l’environnement et bien moins chère. « Il ne faut pas enterrer le secteur trop tôt. Si le prix des céréales explose demain, par exemple, leur technologie leur offrira de belles opportunités. »conclut Mattéo Neri.

Ray Richard

Head of technical department in some websites, I have been in the field of electronic journalism for 12 years and I am interested in travel, trips and discovering the world of technology.

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