« Demander des médailles à des gens qui n’ont pas de piscine, c’est culotté »… La lutte du plongeon français pour préparer ses Jeux
C’est comme « mettre Lewis Hamilton dans un kart ou une Clio sur un circuit de Formule 1 et espérer qu’il gagne« . Benjamin Auffret, quatrième aux Jeux olympiques de Rio en 2016, décrit ainsi la situation des plongeurs français, à l’aube des JO de Paris. Même retraité des plateformes, même habitué aux difficultés de sa discipline en France, il ne le fait pas. Ce n’était pas la fin de ses surprises pour ses ex-compagnons dans leur quête vers Paris 2024. Les Bleus ont vécu une préparation entre permanent système D, et espoirs de succès dès le 27 juillet.
L’épopée commence fin janvier 2023. Ce n’est que le début de la préparation des Jeux, puis un horizon assez lointain, 18 mois plus tard. Mais se lancer devient vite un combat. La piscine de Montreuil, bastion historique de l’équipe de plongeon de 10 mètres, doit subir des travaux en vue, justement, du rendez-vous olympique. Initialement prévues en juin 2023, elles doivent démarrer plus tôt et bouleverser les calendriers. Si l’Insep (Institut national du sport, de l’expertise et de la plateforme) dispose de tremplins de 3 mètres, il n’existe pas d’alternative en région parisienne pour les plongeurs de 10 mètres. Les futurs olympiens sont alors « sans plongeoir fixe ».
Dirigez-vous d’abord dans le bain à remous
« Nous avons profité des JO pour obtenir des financements« , a admis le Parisien (article payant) Anne-Marie Heugas, vice-présidente chargée des sports à Est Ensemble, la communauté de communes à laquelle appartient la ville de Seine-Saint Denis. La rénovation est avancée mais le délai d’achèvement des travaux reste inchangé pour Montreuil, sélectionné pour accueillir le water-polo et les entraînements des équipes qualifiées. Quitte à sacrifier ceux de l’équipe de France de plongeon.
« Nous avons eu une année assez difficile» dit Emily Hallifax, qualifiée en plongeon synchronisé à 10 mètres. Nous avons dû beaucoup voyager, nous sommes allés en Allemagne, nous avons fait de nombreux stages pour trouver une piscine. » Des allers-retours dans la journée à Schiltigheim, près de Strasbourg, l’un des seuls bassins français doté d’une plateforme aussi haute, des déplacements à Londres… La direction des Bleus a dû trouver des plans B dans l’urgence, et sans lendemain. Presque assez pour vous faire manquer l’ancien Stade Nautique Maurice-Thorez à Montreuil.
« On a pas le choix, on va dans une piscine publique, c’est le seul poteau en hauteur où il y a 10 mètresrésume Benjamin Auffret, toujours proche des plongeurs français. Et ils leur ferment la piscine un an avant les Jeux. Peu importe qui a pris cette décision, ce n’est pas une bonne idée. Pour faire de la plongée en France, il faut être un peu masochiste… Ce n’est pas facile. Nous avons besoin de silence et il y a tous les écoliers autour qui apprennent à nager, qui sont impressionnés et qui se mettent à crier. Il n’y a pas de système vidéo, pas de tapis, pas de trampoline, pas toutes les hauteurs, la plateforme n’est pas assez large pour faire la synchronisation, donc sur les quatre disciplines olympiques, il y en a une qui ne peut pas fonctionner. C’est déjà très compliqué.«
Ce qui ne l’était pas déjàpas beaucoup« Comme en discutent ensemble Benjamin Auffret et son ami Alexis Jandard, ce n’est alors rien du tout. »Il s’agit d’une situation très précaire qui n’a aucune raison d’exister à 18 mois des Jeux de Paris, alors que les athlètes devraient être opérationnels.expliquait Alexis Jandard, plongeur à 3 mètres, en février 2023. Quand on fait le point aujourd’hui, c’est ridicule. C’est étonnant quand on sait que les pays étrangers font des folies, que d’autres attendent de venir ici pour des stages et qu’on ne peut même pas les accueillir parce qu’on n’a pas de piscines, et le peu qu’on a, elles ferment.«
Kilomètres et fatigue sont au programme des nageurs qui, pour certains, ajoutent à la plongée des études à Paris. « C’est enfin sympa d’aller tester plein de piscinessourit Emily Hallifax. On gagne en adaptation. Quand on arrive à la compétition, c’est juste une autre piscine.« Les plongeurs de 3 mètres devaient partager les équipes d’accompagnement, coachs ou kinés lors de leurs déplacements. »J’ai été un peu épargné par tout ça à 3 mètres, mais j’aurais aimé être avec mon équipe de A à Z. Malheureusement on n’a pas toujours cette chance« , souligne Alexis Jandard, interrogé le 17 avril.
Peu de moyens mais des résultats
Forts de ces moyens, ils ont préparé l’épreuve olympique mais aussi les compétitions pour s’y qualifier : les Mondiaux de Fukuoka en juillet 2023, puis ceux de Doha en février dernier. « En début d’année, c’était vraiment compliqué car on ne savait pas trop quand on allait avoir une piscine en Francedit Emily Hallifax. Nous avons tout fait pour avoir une piscine à notre disposition pour pouvoir nous entraîner car nous avions les championnats du monde en février qui approchaient et c’était la dernière épreuve qualificative pour les Jeux. Les entraîneurs ont bien fait.«
Si le plongeon avance dans l’ombre de la natation, de Léon Marchand ou autre Maxime Grousset, les Bleus ne font pas que faire de la figuration. Associé à Jules Bouyer, Alexis Jandard a décroché le bronze au tremplin synchronisé de 3 m aux Championnats du monde 2023.Je pense que nous ne nous en sortons pas si mal, dit-il avant sa médaille. C’est ce qui m’attriste encore plus. Avec le peu dont nous disposons, nous pouvons obtenir des résultats. On a eu des champions d’Europe, des vice-champions du monde… Bon sang, il ne nous faut pas grand chose ! Nous y sommes encore, mais ce n’est pas une raison pour nous reposer sur nos lauriers. Si nous voulons des médaillés olympiques, investissons les ressources. C’est trop tard, on aurait dû y penser il y a dix ans.«
Le Centre Aquatique Olympique, incontournable et indisponible
Pour tenter d’y remédier, la France a construit le Centre aquatique olympique (CAO) à Saint-Denis, cadre dans lequel se dérouleront les compétitions de plongeon, et futur nouveau camp de base du Pôle France. « C’est la plus belle piscine de France, sûrement la plus belle piscine olympique de l’histoire de la plongée.« , s’enthousiasme Emily Hallifax. Inauguré en grande pompe le 4 avril, le CAO a offert un mois de répit et de répétitions à l’équipe de France en mars. Un avantage court, mais salutaire sur la concurrence, qui ne découvrira les lieux qu’à partir du 8 mai. à 10 pour une « épreuve test ».
Saint-Denis et Montreuil toujours fermés jusqu’aux JO
Dès la fin de l’épreuve test, le Centre aquatique olympique fermera à nouveau ses portes jusqu’à fin juillet. « Nous attendons cette piscine depuis toujours. Malheureusement, nous n’avons pas encore le droit d’y accéderregrette Alexis Jandard. Après les Jeux, il fermera pendant un an (ouverture au grand public en juin 2025). Alors voilà, nous avons cette piscine, elle est en cours d’aménagement, mais c’est vrai que pour le moment, l’accès est vraiment limité.«
L’équipe de France va donc « revisiter un peu » dans les semaines à venir, selon Emily Hallifax. Ceci malgré la pression de l’événement et les attentes. « Quand on est sportif, qu’on nous demande des résultats mais qu’on ne nous en donne pas les moyens, c’est dur de devoir se justifierpoursuit Alexis Jandard. Nous ne voulons pas blâmer d’autres éléments, alors nous nous blâmons nous-mêmes.«
« J’ai eu une assez bonne expérience avec ça, ça ne me dérangeait pas trop de bouger non plus. Maintenant qu’on se rapproche de plus en plus de l’échéance… (elle soupire) j’ai un peu plus peur. «
Emily Hallifax, qualifiée pour Paris 2024 en plongeon synchronisé à 10 mètressur franceinfo : le sport
Les plongeurs français ne devraient pas non plus avoir la possibilité de retrouver Maurice-Thorez à Montreuil, avant que les équipes olympiques de water-polo n’en prennent possession. Alors que l’accès à la piscine était espéré à partir du mois de mai, il ne sera finalement mis à disposition à Paris 2024 qu’en juillet, a appris franceinfo : sport auprès d’Est Ensemble, la collectivité gestionnaire de la piscine. Soit, au mieux, un peu plus de trois semaines avant la cérémonie d’ouverture. « Demander des médailles à des gens qui n’ont même pas de piscine, c’est un peu culotté« , s’agace Benjamin Auffret.
« C’est dans ces moments-là qu’on arrive à trouver quelque chose de beau, il ne faut pas tout voir en noirle philosophe Alexis Jandard. Mais on ne joue pas avec les mêmes armes, c’est dommage.« Il est allé chercher sa médaille de bronze à Fukuoka 2023 malgré tous les obstacles. »Si je dois construire la Tour Eiffel avec un morceau de bois et une pierre, eh bien, le feu, c’est parti. Nous faisons cela depuis dix ans, nous n’allons pas nous laisser abattre maintenant.«