Nouvelles locales

Delphine Dulong, politologue : « Un coup de (mauvais) génie ? »

La dissolution n’est pas en soi une mauvaise procédure. Dans un système parlementaire normal, il permet aux citoyens d’arbitrer, via élections législatives anticipées, conflit entre le gouvernement et le Parlement. Le président ayant été conçu à l’origine comme un arbitre, c’est à lui que l’initiative fut confiée. Mais il a depuis longtemps cessé d’être un simple arbitre (s’il l’a jamais été). Le recours à la dissolution depuis 1958 en atteste : sur six dissolutions, aucune ne correspondait au schéma normal.

La première a été prononcée en 1962, dans le cadre d’un conflit entre le président de Gaulle lui-même et les députés ; en 1968, il sert à canaliser « le chien » du mouvement social ; suite à ses victoires de 1981 et 1988, François Mitterrand limoge les députés élus trois ans plus tôt pour éviter la cohabitation avec une majorité de droite ; en 1997, Jacques Chirac dissout « froidement » une Assemblée du même côté que lui mais de plus en plus indisciplinée. A chaque fois, la dissolution a donc été utilisée comme une arme au service de la prééminence présidentielle.

La dissolution du 9 juin s’inscrit dans la continuité de ces « précédents », quoi qu’en dise M. Macron. Certes, la majorité relative à l’Assemblée nationale complique le vote des lois. Mais dans une démocratie normale, le Parlement n’est pas une chambre d’enregistrement. Sachant que la Constitution donne aussi au gouvernement les moyens de se défendre (comme le 49.3), l’argument d’un blocage parlementaire ne tient pas. L’enjeu n’est même pas la prochaine élection présidentielle en France car tant de choses peuvent se produire entre 2024 et 2027 que toute anticipation serait de la pure spéculation.

Ne nous y trompons pas : par ce geste, le président Macron cherche à restaurer son autorité unique, fragilisée par l’érosion de sa majorité et l’impossibilité de se représenter en 2027. En limogeant les députés, il prend de court les partis politiques. opposition et ne leur laisse que trois semaines pour s’organiser face au rouleau compresseur du vote majoritaire en vigueur aux législatives. Seules les campagnes de 1981 et 1988 ont été aussi courtes, mais elles se sont déroulées à la suite d’une élection présidentielle et les partis y étaient préparés. Le contexte est aujourd’hui complètement différent puisqu’ils doivent s’unir après un scrutin proportionnel où la bataille a été rude puisque les alliances n’étaient pas nécessaires.

Le pari du président est néanmoins risqué car il est très astucieux en prétendant savoir si et comment, notamment, les près de 24 millions d’électeurs qui ne se sont pas rendus aux urnes le 9 juin voteront. Cela n’a pas d’importance à ses yeux : un mauvais génie lui a peut-être murmuré que, au pire, la cohabitation avec le RN ne pourrait que lui redonner une stature d’homme d’État. Mais à quel prix ? Celle d’une brutalisation de la vie politique d’abord, car les alliances ne peuvent se faire qu’au prix de sacrifices individuels qui seront d’autant plus violents qu’il n’y a pas de temps pour la diplomatie.

Les gouvernements paieront alors au prix fort ce soi-disant coup de génie, car, en raccourcissant le mandat des députés, le président a désaligné les calendriers des élections présidentielle et législatives dont dépendent les gouvernements. Quel que soit le résultat des prochaines élections, Emmanuel Macron devra donc au moins répondre dans l’histoire d’avoir relancé l’instabilité gouvernementale sous le V.e République.

Face à l’extrême droite, ne lâchez rien !

C’est étape par étape, argument contre argument, qu’il faut combattre l’extrême droite. C’est ce que nous essayons de faire chaque jour dans l’Humanité.

Face aux attaques incessantes des racistes et des fauteurs de haine : soutenez-nous ! Ensemble, apportons une autre voix à ce débat public de plus en plus nauséabond.
Je veux en savoir plus.

William Dupuy

Independent political analyst working in this field for 14 years, I analyze political events from a different angle.
Bouton retour en haut de la page