« Délicate » et « coûteuse », l’évacuation du plus grand bidonville de France se prépare
La route caillouteuse et défoncée, longue de plusieurs kilomètres, a récemment été réparée. Il faut dire qu’avec les pluies récentes, elle s’était transformée en torrent. L’eau a même coulé sur le linoléum d’Adrian et Maria, deux des 700 à 1 000 Roms qui vivent ici, dans un abri de fortune de l’immense campement de la prairie des Mauves, à l’est de Nantes.
Mais ce n’est pas tout ce qui inquiète ces jeunes parents. D’ici quatre ans, ce terrain insalubre décrit comme l’un des « plus grands bidonvilles de France » sera évacué. Les élus de Nantes Métropole viennent de voter une convention-cadre pour sa future « résorption », qui devrait débuter cet été.
« Humanité et fermeté »
L’opération, qualifiée d' »inédite », « délicate » et « coûteuse », est motivée par la construction du futur grand pôle écologique urbain de la métropole. A la place des centaines de caravanes et cabanes, entre lesquelles déambulent de nombreux enfants, doit pousser une extension de la déchetterie située juste à côté, une immense station d’épuration, voire une grande plateforme de compostage. Un chantier d’envergure qui oblige la collectivité à s’attaquer à ce dossier « difficile », que Johanna Rolland, la présidente (PS) de Nantes métropole promet de traiter avec « humanité et fermeté ».
« Je ne vous dis pas que ce sera facile », a-t-elle lancé aux élus. « Le seul moyen d’y parvenir est de s’appuyer sur ce que l’on sait faire, et notamment la mobilisation collective. » Une enveloppe de 12 millions d’euros par an (dont la moitié serait versée par la métropole, l’autre moitié par d’autres financements de l’Etat ou de l’Europe) doit y être consacrée, dont un tiers pour la sécurisation des sites.
Des familles « enregistrées et accompagnées »
Sur place, la manière dont tout cela va se passer est pour l’instant aussi floue que lointaine. A côté de son poêle rouillé, Adrian soupire quand il comprend que ce ne sera pas « comme la dernière fois ». Il y a deux ans, la police était venue l’expulser du précédent terrain qu’il occupait avec sa famille, à Sainte-Luce, un souvenir « difficile ». Pour le pré des Mauves, ce sera beaucoup plus progressif, et cela le rassure un peu.
« Les familles seront identifiées et accompagnées », promet François Prochasson, vice-président de Nantes Métropole en charge du droit du logement. « D’abord vers ce qu’on appelle des terrains enclavés en vue de leur permettre, dans un second temps, de s’intégrer dans un logement ordinaire. » Des sites ont déjà été trouvés sur le secteur, pour débuter prochainement le transfert. Une association sera chargée d’aider les habitants qui le souhaitent dans cette transition, mais aussi en matière de santé ou de scolarité pour les plus jeunes. « Notre objectif est de proposer un parcours d’insertion », résume un autre élu nantais.
Trouver des conditions « dignes »
C’est tout ce qu’espère Philippe Barbo, qui veut d’abord voir une bonne nouvelle dans cette opération. « Mon premier objectif est qu’ils retrouvent des conditions de vie décentes, confie le président de l’association Roata, qui suit plusieurs familles de ce campement et d’autres des alentours. Ici, des entreprises viennent déverser leurs déchets, des fils électriques pendent, c’est dangereux… On ne peut plus tolérer que des gens vivent comme ça en 2024. » Celui qui estime que la métropole aurait dû agir bien plus tôt sait aussi que l’opération ne sera pas si simple.
« Jusqu’ici, c’est la politique de la patate chaude : on expulse, on déménage, on laisse la situation s’envenimer… J’espère que cette fois, ces familles seront vraiment écoutées et prises en charge, tout en respectant leur volonté. » Car comme Adrian et Maria, qui espèrent un jour emménager dans un logement pérenne, beaucoup des Roms que nous rencontrons ici travaillent dans le bassin nantais, notamment dans le maraîchage ou la viticulture.
Une image différente de certains clichés qui circulent, même si « la délinquance et la prostitution sont aussi présentes », reconnaissent autorités et associations. Sur ce point, Johanna Rolland a assuré que la police et la justice feront également partie des partenaires mobilisés, alors que plusieurs élus déplorent le manque de soutien de l’Etat dans la gestion globale du dossier.
On compte actuellement plus de 3 000 Roms dans l’agglomération nantaise, dans une soixantaine de bidonvilles. Tout près de la prairie des Mauves, d’autres familles craignent d’être prochainement expulsées, cette fois à cause du projet du futur nouveau quartier Doulon-Gohards.