jeIl espère la promesse d’une « assiette de revenus durable et évolutive » pour les 103 conseils départementaux du pays, l’assurance qu’il n’y aura plus de transfert de charges sans « transfert de ressources », une augmentation des frais de notaire, ou encore un plus grand contrôle des le RSA, entre autres mesures solides. Pour une strate « pas comme les autres », privée de levier fiscal depuis la fin de la taxe d’habitation mais bras (mal) armé de l’État pour gérer les politiques de protection de l’enfance, du vieillissement ou du handicap. Surtout, Jean-Luc Gleyze a demandé au Premier ministre de reconsidérer les ponctions annoncées sur leurs ressources : les Départements doivent assumer 44% (plus de 2 milliards d’euros) de l’effort demandé par l’Etat aux collectivités dans le cadre d’un projet de loi de finances ( PLF) dénoncé par les élus depuis plusieurs semaines. Le président du conseil départemental (PS) de Gironde a exprimé ces « lourdes revendications » à la tribune des Assises des Départements de France, dont il est le leader de la gauche, en fin de semaine dernière. Il revient « déçu » et « en colère ».
Aux Assises des Départements de France, vendredi 15 novembre, Michel Barnier a annoncé une « réduction significative » des prélèvements prévus par le PLF : ne pensez-vous pas avoir été entendu ?
L’intérêt du terme « significatif », c’est qu’il n’est pas quantifié… Il laisse tout espoir ou assure toute déception. Mais il y aura un prélèvement : si ce n’est pas les 2 % annoncés sur nos recettes de fonctionnement, ce sera 1 % ou 0,5 %… Nous voulions zéro. Je m’attendais à quelque chose de fort. Michel Barnier nous dit qu’il « croit aux Départements », qu’il veut que nous ne soyons pas de « simples opérateurs de l’État »… Et puis, il nous parle de « lutte contre l’absentéisme », d’aide à « la prise en charge de l’État ». coûts » des Ehpad sans vraiment aucune explication, cumul de mandats… sujets périphériques. L’augmentation du plafond du DMTO (droits de mutation à titre onéreux, les fameux « frais de notaire » pour les transactions immobilières, une des principales ressources des Départements, NDLR) : on demande 1%, on nous dit 0,5%, pour trois années. Nous sommes sur le point de nous tromper. Je rentre à la maison très en colère et avec l’envie de continuer le combat.
Comment ?
En s’engageant dans le combat. La gravité de la situation est à la mesure des spécificités de nos missions. Je relance la mobilisation « Défendons nos territoires » et en fin de semaine, nous installerons une immense bâche sur le bâtiment « Gironde », à Bordeaux, qui aura pour but d’interpeller les citoyens et de faire comprendre les enjeux en disant : « Vous êtes préoccupé par ce qui se passe. » Nous le ferons aussi sur les réseaux, et auprès des sénateurs et des ministères… Je l’ai dit à Michel Barnier : je ne suis pas là pour défendre un carré, mais s’il faut nous faire éliminer par asphyxie financière, qui prendra le relais ? L’État, qui est dans un déficit abyssal ? D’autres communautés, qui reprendront nos missions et demanderont les mêmes ressources ? Car il faudra être à la hauteur : les enfants à protéger sont là, les gens vieillissent, il faut les accueillir ; il y a des handicaps à soigner, des collèges et des routes à entretenir…
« Je ne suis pas là pour défendre un terrain, mais s’il faut être éliminé par asphyxie financière, qui prendra le relais ? »
Quelles nouvelles recettes proposez-vous, sans avoir à créer un nouvel impôt local ?
Je propose d’augmenter la contribution sociale généralisée (CSG) de 0,10 point, ce qui représenterait 2 milliards d’euros, que l’on pourra orienter vers les Départements : cela fait partie de la solution. Je pense aussi à la taxe spéciale sur les contrats d’assurance, puisque nous finançons les pompiers (Sdis) et que grâce aux pompiers, il y a justement moins de biens détruits. La taxe de séjour peut aussi être une réponse. Et puis pourquoi ne pas aller chercher les recettes là où elles se trouvent : nous avons perdu 60 milliards d’euros de réductions d’impôts au profit de personnes qui n’en ont pas vraiment besoin. C’est un choix politique et un choix de société. Nous ne pouvons pas économiser éternellement sur les services publics.
En Gironde, quels sont les symptômes de cette « asphyxie » que vous dénoncez ?
Nous avons perdu 210 millions d’euros de droits de mutation en deux ans. Pour le budget 2025, il faut faire 70 millions d’euros d’économies de fonctionnement et 110 millions d’investissement, et cela, sans les futures mesures du PLF. Nous n’avons pas d’autre choix que de réduire les coûts. Nous avons déjà réduit nos allocations aux collèges. Nous avons réduit de moitié les aides aux communes et donc les aides aux associations. Les retraités ne seront pas remplacés dans le Département, même si nous souhaitons créer des postes pour mieux assurer le suivi des assistantes maternelles et des familles d’accueil. L’État veut-il asphyxier le service public départemental et le confier demain au privé, pour les Ehpad Orpéa ou les crèches People & Baby ?
Culture, sport, tourisme, aide aux communes : ce ne sont pas des compétences obligatoires et pourtant, vous intervenez dans ces domaines au nom d’une « politique volontariste »…
Mais quand on aide un club sportif à faire du handisport, est-ce du sport ou du handicap ? Quand nous finançons des mesures pour introduire la culture dans les maisons de retraite et contribuer à en faire des lieux de vie, n’est-ce pas aider les personnes âgées ? Tourisme, aides aux communes, c’est 15 millions d’euros. Sport, culture, 7 ou 8 millions. Nous recherchons 180 millions.
Certains de vos confrères ont menacé de suspendre le versement du RSA et la prise en charge des « mineurs non accompagnés » : iriez-vous jusque-là ?
Plutôt que de nous mettre dans l’illégalité en ne prenant pas en charge les mineurs non accompagnés, je préfère obtenir une reconnaissance de la dette de l’Etat. Pour les enfants sous protection ou les adultes handicapés, l’État nous doit 21 millions d’euros. S’il le faut, nous irons au contentieux en mettant l’État en justice. Le RSA était pris en charge à 89 % par l’État et à 11 % par les Départements. Aujourd’hui, c’est 43-57. Nous avons progressivement eu une prise en charge par l’État des revenus qui nous étaient alloués. Nous ne sommes plus dans l’esprit originel de la décentralisation, qui consistait à choisir le bon niveau de collectivité pour le bon niveau d’action publique, avec les moyens qui vont avec. Lorsque nous avons transféré la protection de l’enfance aux Départements, c’est parce que nous pensions que c’était le meilleur niveau local pour le faire. Que pourrait faire l’État mieux que nous aujourd’hui ? Nous pointer du doigt est profondément injuste.
Qu’attend le grand public ?
Je veux démontrer que l’action publique est au service des vies et des personnes. Il montre ce qui se passera concrètement si demain, le Département n’a plus les moyens d’être à la hauteur de ses missions. Si les départements s’effondrent, c’est la nation tout entière qui vacille. L’abandon des zones rurales, on sait ce que cela produit. Avec tout le corollaire des mobilisations sociales, dans la rue et dans les votes.