Dans le monde du travail, on connaissait le « quiet quitting », qui consiste à être le plus efficace et rapide possible pour ne faire que le strict minimum au bureau, ou encore le développement des « lazy girl jobs », ces postes attractifs car ne demandant pas beaucoup de travail ni d’investissement…
Une nouvelle tendance émerge, celle du « quiet vacationing », que l’on pourrait traduire littéralement par « prendre des vacances sans bruit ». Concrètement, la pratique désigne le fait de partir en vacances le plus discrètement possible, sans prévenir son entourage, ses collègues, ses amis ou sa famille.
« Au lieu de prendre congé et de puiser dans leur réserve de jours officiels, écrit le Wall Street Journal, Certains salariés s’offrent des mini-vacances, cachés derrière l’écran du télétravail » . «
Si les travailleurs de la génération Y sont souvent accusés d’abuser de leurs congés, les statistiques montrent que cette pratique est commune à toutes les tranches d’âge de la population active. Une enquête de Harris menée auprès de 1 200 travailleurs américains a révélé que plus d’un quart des personnes interrogées avaient pris des congés non autorisés. Certains justifiaient cela par le manque de jours de vacances officiels ou par le refus d’un manager de leur accorder des congés.
Les États-Unis sont à court de jours de vacances
La tendance des « vacances tranquilles » est apparue aux Etats-Unis, encouragée en partie par la réglementation du travail. Les Américains qui travaillent dans le secteur privé, précise le ministère américain du Travail, sont en effet moins gâtés que les Français, avec une moyenne annuelle de quinze jours de congés payés par an (après un contrat de cinq ans).Et c’est là qu’ils ont de la chance, tempère les médias. Un travailleur du secteur privé américain sur cinq ne bénéficie pas de congés payés.
Selon l’enquête Harris, la pression de devoir être opérationnel au travail inciterait même près de 80 % des salariés à ne pas prendre tous leurs jours de vacances.Des vacances tranquilles leur permettront donc de contourner le problème. » explique Libby Rodney, directrice de la stratégie chez Harris.
Derrière ces vacances secrètes, la pression du travail
C’est peut-être là l’enseignement principal (et le plus inquiétant) de cette analyse : si certains salariés maquillent leurs vacances, c’est moins par volonté de tricher, que par incapacité à s’extraire pleinement, ne serait-ce que quelques jours, du secteur du travail. Certains préfèrent en effet recourir à des « vacances tranquilles » plutôt que de demander des congés officiels qui, dans un univers ultra-concurrentiel, pourraient être perçus comme un manque de motivation.
Ironiquement, la pratique des « vacances tranquilles » se développe également au sein des entreprises qui appliquent une « politique de vacances illimitées », c’est-à-dire qui, pour attirer les talents, permettent à leurs salariés de prendre tous les congés qu’ils désirent.Même ces employés y ont recours, analyse le Wall Street Journal, parce qu’ils ne veulent pas donner l’impression de prendre trop de jours de vacances payés.«
C’est le cas de Nicole Walker, 33 ans, qui travaille au service client d’une compagnie de transport maritime. Bénéficiant d’une politique de congés illimités, la jeune femme part régulièrement en vacances sans l’officialiser. D’abord parce qu’elle craint de ne pas atteindre ses objectifs de travail, et notamment le nombre d’appels clients qu’elle doit gérer, si elle raccroche officiellement son téléphone. Ensuite parce qu’elle explique avoir trouvé dans la formule une solution pour s’absenter plus souvent.Cela me donne la liberté d’emmener ma famille en vacances plus d’une fois par an, tout en gardant une bonne attitude au travail.« , résume-t-elle.
La frontière entre vie privée et vie professionnelle est de plus en plus floue
Deepali Vyas, responsable clientèle au sein du cabinet de conseil Korn Ferry, voit dans cette tendance non seulement une conséquence de la démocratisation du télétravail, mais aussi le résultat d’une disparition progressive des frontières entre vie professionnelle et vie personnelle. Et elle déplore le phénomène.
« Ces vacances discrètes sont souvent contre-productives, elle analyse. D’une part, parce qu’on n’a pas vraiment de pause réparatrice et d’autre part, parce qu’on n’est pas non plus très productif. Sans parler du risque de se faire prendre. »
Les responsables avec qui elle s’est entretenue, explique-t-elle, ne sont pas dupes. Et ils citent les mêmes signes qui éveillent leurs soupçons : arrière-plans virtuels lors des visioconférences, demandes satisfaites plusieurs heures après l’envoi d’un mail…Ils savent très bien quand leurs employés sont en vacances, car leur performance est 30 % inférieure à la normale. » explique-t-elle.
Loin du bureau, des employés plus efficaces ?
Le constat négatif n’est pas partagé par tout le monde. Jaimie Calderon, analyste pour une compagnie d’assurance, en témoigne : elle travaille plus efficacement lors de ces escapades ponctuelles, car elles l’obligent à mieux s’organiser. Lors d’une récente escapade d’une semaine à Temecula, en Californie, elle était opérationnelle de 6 h à 14 h 30 depuis sa suite d’hôtel, puis passait le reste de son après-midi au bord de la piscine…
En France, Quentin, chef de projet pour une start-up, déplore enfin la confusion qui est régulièrement faite entre un séjour à l’étranger et des vacances. Sans enfant, ce « digital nomade » parisien part parfois séjourner dans une ville européenne sans pour autant cesser de travailler.Cela me permet d’être en vacances pendant ma pause déjeuner, le soir et le week-end. La vie ne se limite pas aux plages horaires de 9h à 12h et de 14h à 18h. De plus, ce n’est pas parce que quelqu’un est au bureau, au siège de son entreprise, qu’il travaille plus. C’est ce qu’on appelle la culture du présentéisme.«
Cet article a été initialement publié le 18 juillet.
GrP1