Décès de Jean-Claude Lenoir, infatigable secouriste des migrants – Libération
Le bénévole de 72 ans est décédé jeudi soir à Calais, après avoir passé des décennies à héberger, nourrir et aider les exilés, gardant toute son indignation et son humanité malgré les pressions policières et judiciaires.
Combien de ministres de l’Intérieur a-t-il vu passer et disparaître ? Jean-Claude Lenoir aurait compté sur ses doigts, l’œil plaisant derrière ses lunettes, de Nicolas Sarkozy en 2002, à la fermeture de Sangatte, le centre de la Croix-Rouge qui accueillait les exilés en partance pour le Royaume-Uni, jusqu’à Gérald Darmanin, venu saluer la frontière renforcée à coups de drones et de quads sur la plage. L’infatigable bénévole, l’un des membres fondateurs de Salam, la plus ancienne association d’aide aux exilés de Calais, est décédé jeudi 11 juillet au soir, dans un accident de la route, sur le quai de l’Escaut.
Il conduisait une camionnette Salam. « Il avait un cœur fragile et, de temps en temps, il avait des évanouissements. »explique Claire Millot, sa collègue de l’association. « Nous sommes presque certains que c’est ce qui s’est passé, que le camion a traversé un terre-plein central comme ça avant de tomber dans le canal. » Jean-Claude Lenoir s’est noyé, ironie du sort, lui qui était un excellent nageur, président du comité départemental de voile et du yacht club du Calaisis. Il aurait eu 73 ans en août.
« Je pense que la France aura perdu »
Nous l’avons rencontré en 2004, lors de son procès pour « accompagnement au séjour des personnes en situation irrégulière »où il avait été condamné mais libéré de sa peine. Ce que les militants de l’époque appelaient le « crime de solidarité ». A la barre du tribunal de Boulogne-sur-Mer, il avait déclaré : « J’ai accueilli une maman avec un bébé de six mois, j’ai accueilli quelqu’un qui n’avait plus de jambes. Si, ce soir, je vais en prison pour ça, je pense que la France aura perdu. » Il avait souffert d’un contrôle judiciaire préventif, de devoir se présenter au commissariat, de ne plus pouvoir voyager à l’étranger. « Celui qui n’a jamais quitté Calais ! » rigole Claire Millot. En 2008, il a également été placé en garde à vue pour « insulte à un officier », avant d’être détendu.
Combien de fois l’avons-nous croisé lors des distributions de nourriture, dans son chaud coupe-vent de marin, qui sait combien les nuits sont froides sur la côte. L’ancien professeur de technologie a daté son entrée dans l’action associative de l’époque de la fermeture du centre de Sangatte : « Devant mon école, il y a un parc où dormaient des Kosovars. Les flics les poursuivaient quand les élèves arrivaient en cours. Je n’ai pas trouvé ça très pédagogique, d’autant plus que pendant la récréation, ils jouaient aux flics et aux Kosovars. »
« Ça a fini de m’énerver »
Alors un jour, quand il voit des exilés s’abriter d’une pluie torrentielle sous un porche près de sa maison, il les laisse entrer pour se sécher, leur offre du thé. Il sort avec eux, contrôle de police : « Je n’avais pas mes papiers sur moi, j’ai passé quatre heures au commissariat. Ça m’a vraiment énervé. » Claire Millot pense que cela a commencé plus tôt, au milieu des années 90 : « Il partait seul en maraude dans les dunes, avec des boîtes de sardines dans sa veste qu’il donnait aux migrants qu’il croisait. » Elle regrette : « C’était une personne très modeste qui parlait très peu de lui-même. » Avec l’âge, il n’était plus sur le terrain, depuis l’expulsion de la grande jungle de Calais en 2016, mais s’occupait de toute l’administration de l’association.
L’indignation ne l’a jamais quitté, en humaniste respectueux des autres. La mort de quatre exilés dans un naufrage la nuit suivant son accident l’aurait ébranlé, comme toujours. Il ne se reconnaît pas dans la radicalité de certains militants, mais Jean-Claude Lenoir estime qu’il a le devoir d’agir. Son dernier geste citoyen a été de faire barrage au RN, en votant pour Pierre-Henri Dumont, le député LR sortant, aux positions dures sur les migrants, raconte Claire Millot. Le geste n’a servi à rien, le RN est passé, mais Jean-Claude Lenoir n’a pas tremblé. Comme d’habitude.