Décès de Charles Juliet, grand écrivain de la paix intérieure
Auteur à la fois exigeant et humble, au style dépouillé et ensoleillé, Charles Juliet s’est éteint, a annoncé ce samedi son éditeur. A 89 ans, il laisse derrière lui un recueil de romans, de nouvelles, de journaux et de contes (dont « Lambeaux », son chef-d’oeuvre) accessible à tous.
Publié le 27 juillet 2024 à 11h21
jeIl avait un corps sec, un visage ascétique et une écriture simple. Et pourtant, quelle rondeur et quelle douceur chez cet homme ! Décédé le 26 juillet 1889 à l’âge de 89 ans, Charles Juliet était l’humilité incarnée. Une humilité de pierre et de mousse, avec de longues saisons arides, et soudain, la source désaltérante de l’écriture. Une humilité tentée par le néant, depuis son abandon, tout petit, à des moments où la dépression d’une jeune mère pouvait conduire à l’asile et à la mort, comme il le raconte dans Des lambeaux (1995), son chef-d’œuvre. Une humilité pleine de générosité, ouverte aux autres. Qu’il s’agisse d’un anonyme observé dans la rue, d’un lecteur venu à sa rencontre ou d’un artiste immensément admiré par lui, comme Beckett, Cézanne ou Bram Van Velde, chaque être humain se sent accueilli, à sa juste place, dans son regard comme dans son œuvre.
Charles Juliet s’est placé lui-même au centre de la plupart de ses livres, mais il a voulu que ce centre soit aussi minuscule qu’un grain de sable. Que l’on puisse en ressentir le relief minéral, et ce déplacement imperceptible du sol sous nos pieds, quand l’inquiétude devient tranquillité, illuminée par l’acceptation de faire partie d’un grand tout qui nous dépasse. Ses romans, ses nouvelles, ses journaux, ses récits, sa poésie, tout exprime ce petit mouvement de l’âme qui voit l’angoisse céder la place à l’apaisement.
« N’aie pas peur/il n’y a pas de désert/c’est ta propre faim/qui suscite ce qui/peut la satisfaire » : pris à partir de Trop ardent, C’est un exemple des trésors enfouis dans ses textes, si denses et si clairs, capables de soutenir une vie entière. Grand lecteur en quête de sens, dénué de toute croyance religieuse mais assoiffé de spiritualité, il dévorait les écrits mystiques, se passionnait pour François d’Assise ou Ma Ananda Moyî. Auparavant, dans sa jeunesse tourmentée, il avait découvert Albert Camus, un de ces chocs « qui nous font monter d’un niveau dans la connaissance que nous avons de notre être intérieur. » Mais rien ne le nourrissait autant que les gens ordinaires, à commencer par les paysans qui l’avaient recueilli et élevé avec modestie et dévouement. Que recevait-il d’eux ? « Le bon sens. La patience. La manière de supporter les choses. Quand on est agriculteur, on ne se plaint pas, on travaille et c’est tout. J’essaie toujours de ne pas être du côté du négatif. L’agriculteur est du côté du positif : il doit produire des choses dont les autres bénéficieront. J’ai un peu cet esprit-là. Je ne penserais pas à écrire des choses qui pourraient nuire à quelqu’un. » il a répondu quand nous l’avons rencontré en 2010.
Lire notre interview de 2010
Charles Juliet : « Écrire, c’était m’élucider, creuser dans ma mémoire, dans mon inconscient »
Lancé dans une exploration intimiste implacable, Charles Juliet a marché sur un fil entre exigence et simplicité, et rien ne l’a fait dévier de sa voie. Même lorsque les projecteurs de la célébrité ont brièvement brillé sur lui au début des années 90, lors de l’adaptation cinématographique de son roman par Gérard Corbiau L’année de l’éveil (1989), sur un épisode marquant de son adolescence : sa liaison secrète avec la femme de son patron, alors qu’il était pensionnaire dans un lycée militaire. Le film manque l’essentiel de son écriture, et on voit alors la silhouette de Charles Juliet s’éloigner à un rythme soutenu, poursuivant son chemin, en toute discrétion, en toute loyauté envers lui-même, en toute confiance envers son éditeur POL, pendant plus de trente ans.
« J’ai perdu beaucoup de temps à lire, car j’étais trop impatient. Ce que j’avais appris n’a pas pu être assimilé. » il se confie à Apaisement. Lire Charles Juliette est une expérience qui coule de source, accessible à tous, si riche qu’elle provoque l’avidité dont il parle. Mais pas l’impossibilité de métaboliser. Car sous chaque mot, il a creusé un refuge pour que nous puissions nous arrêter, respirer, méditer. Et sentir l’éventail de la plénitude s’ouvrir en nous.