Le guide vert des meilleurs vins de France, publié par la Revue du vin de France (RVF), qui sort en librairie ce jeudi, n’a pas fait que des heureux en Languedoc et en Roussillon. Le domaine Daumas Gassac monte au créneau contre le guide, réclamant « un peu de respect » et un peu moins de « mépris ». Quant à un autre domaine mythique d’Aniane, la Grange des Pères, il a tout simplement coupé les ponts avec la RVF. Mais au-delà des cas particuliers, une chose est sûre : si le Languedoc avait la cote il y a quelques années, il stagne aujourd’hui, voire régresse dans le classement des meilleurs domaines, malgré le maintien de quelques valeurs sûres comme Olivier Jullien.
« Combien de temps… Combien de temps encore. Des années, des jours, des heures, combien de temps ?« Serge Reggiani a chanté la soif de vivre dans Le temps qui reste. On pourrait appliquer le même refrain aux vins du Languedoc-Roussillon. Combien de temps encore seront-ils considérés comme le vilain petit canard de la planète vin ?
Cette semaine, la publication du guide vert 2025 des meilleurs vins de France a eu de quoi refroidir leurs espoirs. Le temps du grand rouge qui tache et cède à tout prix est-il vraiment si proche ?
Ne brossons pas un tableau outrageusement noir… Le guide salue quelques domaines majeurs, voire mythiques : l’emblématique Olivier Jullien à Jonquières et les non moins incontournables Gauby père et fils, Gérard et Lionel, à Calce. Mais cinq domaines sur 104 héritant d’un « trois étoiles », ce n’est pas grand-chose… 5%, en fait.
Le Languedoc à lui seul, avec deux domaines trois étoiles (Mas Jullien et Peyre Rose), peine à atteindre les 2%. Sans compter que le Graal reste hors d’atteinte : zéro point en « quatre étoiles », distinction supplémentaire introduite il y a deux ans.
« On est face à des Parisiens qui sont un peu dans un groupe soudé », assure Roman Guibert.
Le Languedoc-Roussillon compte 21 « deux étoiles », sur 275 au total, et 43 « une étoile », sur 451. C’est de cette dernière catégorie, la plus basse des quatre niveaux classés, que Daumas Gassac, à Aniane, doit se contenter. Une claque, compte tenu du prestige du domaine. « On est face à des Parisiens qui sont un peu dans un groupe soudé, déplore Roman Guibert, le directeur français du vignoble.Ils font ça dans un bureau (…). J’ai essayé d’avoir une discussion avec eux à plusieurs reprises pour demander un peu de respect, en vain. Je vois surtout du mépris. »
« Nous avons un vin très particulier, à l’opposé des vins du Languedoc, il se démarque. Ce n’est pas une nouveauté.« Comprenez : ce qu’Aimé Guibert, son père, a initié il y a 50 ans ne plaît pas à tout le monde. Il s’est inspiré du modèle bordelais, a introduit le cabernet sauvignon, jouant en solo, donc, hors cahier des charges des appellations régionales. Un vin déconnecté de l’identité languedocienne : c’est précisément ce que le guide reproche aux frères Guibert.
Le Languedoc est moins populaire ces dernières années
Aimé Guibert, incollable sur les mérites de sa success story, est décédé en 2016 à l’âge de 91 ans. Il avait passé le flambeau à ses fils en 2010.
Si Daumas Gassac se sent malmené, avec des notes basses, d’autres sourient. Le domaine du Pas de l’Escalette, à Poujols (Hérault), a deux étoiles. Quand on est dans le guide, on dit que ce n’est pas mal, quand on ne l’est pas, on dit que c’est nul, bref on n’est jamais content, approuve Julien Zernott. Nous sommes classés différemment que si nous étions Bourguignons ou Champenois. Nous sommes condamnés à bien faire pour continuer à exister. Et nous partons de très loin.
Selon lui, l’humeur des consommateurs et du marché a perturbé l’essor des vins de la région : « Il y a quelques années, on avait besoin de vins concentrés, maintenant on a besoin de vins infusés. Le Languedoc va dans ce sens, en misant sur la finesse, notamment pour les blancs. Mais c’est un travail de longue haleine. Et c’est vrai que le Jura et la Savoie ont plus de succès aujourd’hui. C’était le cas du Languedoc il y a cinq ans.« .
Se réinventer sans relâche, après avoir cru avoir réussi. Tout le temps qu’il reste. Des années, des jours, des heures. Combien de temps encore ?
« Ce sont des idiots, ils ne remettront pas les pieds ici de sitôt. »
Bernard Vaillé ne peut pas reprocher au Guide Vert des Vins de France de ne pas avoir inclus son domaine Grange des Pères dans son classement : il a refusé, comme il le fait depuis de nombreuses années, de leur envoyer des échantillons de dégustation.
Le contentieux est ancien : son frère Laurent, tragiquement décédé en 2021, a fini par se brouiller avec la Revue du vin de France (RVF).« Un jour, ils ont critiqué le domaine en disant qu’on n’envoyait pas d’échantillons, qu’on se considérait comme un domaine intouchable. Laurent a vu rouge, il m’a dit « Ce sont des cons, ils ne remettront pas les pieds ici de sitôt ! ».
Les suites du suicide de Laurent Vaillé n’ont pas arrangé les choses.Après ce qu’ils ont fait…« Il ne termine pas sa phrase. Le contentieux est lourd.
» Dans la RVF, ils ont écrit que la propriété était vacante, qu’il s’agissait de Frédéric Pourtalié et de sa sœur (amis de la famille Vaillé, à la tête du domaine Montcalmès à Puechabon, NDLR)qui allaient s’occuper de la vinification »Certes, Bernard Vaillé a choisi de ne parler à personne pendant six mois, fermant ses portes le jour même de la mort de son frère, mais il n’avait pas « « Je n’ai jamais eu l’intention de vendre le domaine ».
Le vigneron a failli poursuivre la RVF en justice. Mon avocat m’a dit que ce serait compliqué et j’ai juste fait un droit de réponse.« , précise-t-il.
Bernard Vaillé regrette néanmoins les proportions prises :« C’est dommage, car c’est quasiment le seul magazine vraiment spécialisé dans le vin.« .