Au lendemain de l’attaque du fourgon blindé qui a fait deux morts surveillants pénitentiaires, où faut-il placer Mohamed Amra sur l’échelle du crime organisé ? En analysant les vidéos, que dire du profil des attaquants ? Allaient-ils convaincre le détenu de le libérer ou de le faire payer ? Frédéric Ploquin, spécialiste du crime organisé, répond à nos questions.
Le profil de Mohamed Amra, exfiltré lors de l’attaque d’un fourgon pénitentiaire qui a fait deux morts, s’affine. Agé de 30 ans, il est très mal connu des services de police et de justice. Ce mercredi 15 mai, en milieu de journée, l’organisation intergouvernementale Interpol a émis une notice rouge, un avis de recherche aux polices du monde entier, visant le fugitif.
Impliqué dans des affaires de drogue, mais aussi d’enlèvements, de séquestration et de tentatives d’homicide, il est associé au crime organisé. Spécialiste du sujet, Frédéric Ploquin a répondu à nos questions.
Auteur de « Les Narcos français brisent l’omerta » (Albin Michel – février 2021), le journaliste d’investigation n’est pas surpris par la trajectoire de Mohamed Amra. En revanche, il s’interroge sur l’objectif des agresseurs : sont-ils venus chercher le détenu pour le libérer, ou pour le faire payer ? Entretien.
France 3 : Où situez-vous Mohamed Amra sur l’échelle du crime organisé ?
Frédéric Ploquin : Mohamed Amra, pour moi, c’est vraiment un pur produit de cette start-up que représente aujourd’hui le trafic de drogue en France. Si l’on devait dire que le trafic de drogue engendre des monstres parfaits, en voici un. Le profil est à chaque fois le même : entrer dans la délinquance vers 14-15 ans, commencer par des petits larcins, passer à l’échelon supérieur avec des vols violents, et puis, aspiré dans cette machine criminelle phénoménale qu’est le trafic de drogue, devenir quelqu’un de temps record.
J’ai parlé avec des gros voyous qui ont analysé la vidéo et qui m’ont dit : « peut-être que ce n’est pas une évasion, peut-être qu’ils sont venus le chercher »
Frédéric Ploquin, journaliste spécialisé dans le crime organiséFrance 3 Normandie
Cette trajectoire rapide ne vous surprend-elle pas ?
Pour moi, c’est symptomatique de ce que l’on rencontre dans le trafic de drogue. A 30 ans, vous êtes le chef d’un gang à Marseille qui va tuer 10, 20, ou 30 membres du gang adverse. A 30 ans, on est quelqu’un dans le trafic de drogue. Et si l’on regarde le parcours de cet homme, il est passé extrêmement vite, comme une fusée, d’une délinquance moyenne à un niveau assez élevé. Il faut rappeler qu’il a grandi dans ce bassin normand adossé au port du Havre, où le marché de la cocaïne est très important.
Son avocat, Hugues Vigier, se dit surpris, et avance la possibilité que quelqu’un soit venu le chercher » non pas pour le libérer mais pour le rendre disponible et peut-être lui faire payer ce que nous supposons qu’il aurait lui-même commis « . Est-ce une hypothèse possible ?
J’ai eu plusieurs conversations avec de gros voyous, qui ont analysé la vidéo. Et plusieurs d’entre eux m’ont dit : « écoute, ce n’est pas si clair. Ce n’est peut-être pas une évasion. Peut-être qu’ils sont venus le chercher « . Là où Hugues Vigier a sans doute raison, c’est qu’on a l’impression, en regardant bien cette vidéo, que Mohamed Amra ne descend pas immédiatement du fourgon. On peut effectivement imaginer, dans la mesure où cet homme est a priori en guerre. avec un certain nombre de concurrents, l’hypothèse selon laquelle on était venu le chercher pour d’autres raisons : le faire parler, lui demander de l’argent…
durée de la vidéo : 00h00mn49s
Un fourgon de prison a été attaqué ce mardi 14 mai au péage d’Incarville dans l’Eure. Deux gardiens de prison ont été abattus.
•
©France 3 Normandie
Les complices sont allés jusqu’à tuer. Peut-on dire qu’ils relèvent nécessairement du crime organisé ?
Je ne pense pas voir de pieds nickelés. J’ai l’impression d’être face à des tueurs très jeunes, comme on en voit dans le paysage français depuis environ 2 ou 3 ans. Quand on observe le déroulement de la scène, c’est assez précis. Il y avait forcément un point de départ, une étude du parcours emprunté, une analyse du nombre de véhicules et des forces en présence.
C’est ce qui me frappe : quand on va libérer quelqu’un, l’objectif n’est pas de massacrer tout le monde autour, c’est de faire sortir la personne. Si vous êtes de vrais professionnels, vous parvenez à neutraliser les gardiens qui accompagnent le détenu. Vous n’êtes pas obligé, comme ils l’ont fait, sans aucune hésitation, d’aller tuer tout le monde. C’est là qu’on peut s’interroger sur leur professionnalisme.