A Montreuil, parents et enseignants de la cité scolaire Jean-Jaurès s’attendent à une nouvelle année compliquée, après l’échec d’une mobilisation intersyndicale pour réclamer davantage de moyens pour les écoles publiques du département.
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Devant les épaisses grilles noires de la cité scolaire Jean-Jaurès, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), une trentenaire tire frénétiquement sur sa cigarette. Cette secrétaire administrative s’apprête à reprendre le chemin de l’école, lundi 2 septembre, comme 12 millions d’élèves du primaire et du secondaire. « Je suis très stressé »suppose-t-elle, avant de s’engouffrer dans la cour de l’établissement. Un peu plus loin, Martin*, dont le sac à dos bleu semble aussi lourd que lui, lance : « C’est l’entrée, papa ! » William plisse les yeux vers le panneau qui indique l’heure de début des cours pour les élèves de sixième : 9h30. Le père et le fils ont une heure d’avance.
« J’ai l’impression qu’il est prêt, mais Martin a eu une petite insomnie la nuit dernière. »William dit. Intimidé, le nouvel élève regarde ses pieds, avant d’acquiescer. Difficile de passer d’une école primaire familiale à un collège de plusieurs centaines d’élèves. Au collège, le père s’inquiète surtout des grèves récurrentes : « C’est une université assez militante. »
Il est 9h20. Deux collégiennes s’embrassent devant l’école. « C’est bizarre, je me suis couché à 2 heures du matin tout l’été »s’exclame le premier. « Je commençais à m’ennuyer. »répond son amie. A quelques mètres de là, Léa* est inquiète. « J’ai peur de ne pas pouvoir trouver mon chemin. »explique la future élève de sixième. Sa mère, Mélanie, avec de grosses créoles argentées aux oreilles, s’inquiète de voir sa fille passer trop d’heures en salle d’étude. « J’ai hésité avec le secteur privé, mais j’ai choisi de le mettre dans le secteur public, au moins pour un an »elle dit. « On verra comment ça se passe.
Benoît Moreau, professeur de mathématiques et délégué syndical Snes-FSU à Jean-Jaurès, affirme que le collège manque déjà d’un professeur pour assurer « quatre heures » dans sa matière et une autre pour « neuf heures en allemand »Si le problème des heures non remplacées touche l’ensemble de la France, la Seine-Saint-Denis est particulièrement exposée. « Seul un enseignant sur deux serait remplacé dans les collèges et lycées de Seine-Saint-Denis, contre 78 % au niveau national »avait avancé le le président du département Stéphane Troussel en mars, dans un communiqué relayé sur X.
Alors que l’intersyndicale du 93 s’est largement mobilisée contre la mise en place de groupes de niveaux en français et en mathématiques, Jean-Jaurès n’appliquera pas cette réforme. Croisé au détour d’une rue qui sépare le collège du lycée, le chef d’établissement confirme que les nouveaux « groupes de besoins » n’y verront pas le jour, car « Les étudiants sont assez bons. » Une décision qui profite à l’apprentissage de tous, estime Benoît Moreau. « Ici, des élèves issus de familles très pauvres côtoient des élèves très favorisés culturellement. Ils se parlent tous dans la cour de récréation, c’est important de maintenir cette diversité dans la classe », défend le professeur.
Assises sur un banc en bois, quatre jeunes filles partagent deux canettes de boisson énergisante. « Nous sommes devant le lycée »s’exclame l’une d’elles, le téléphone au bord des lèvres, dans un message vocal destiné à « Marco »Ces futurs élèves de deuxième année, qui attendent leur retour prévu à l’école à 10 heures, disent avoir subi des absences répétées des enseignants des collèges Colonel-Fabien et Cesaria-Evora. Ils pourraient revivre cette situation au lycée Jean-Jaurès, où de nombreux postes ne sont toujours pas pourvus, selon le Snes-FSU de l’académie de Créteil : entre 15 et 18 heures de français, 18 heures d’espagnol, 12 heures de SVT…
Face au manque de ressources humaines, « Nous surchargéons de plus en plus les classes »« Nous sommes dans une situation difficile, déplore la déléguée syndicale Claire Fortassin. En deuxième année, les élèves de Jean-Jaurès seront en moyenne 30 par classe, parfois 32. Des salles surchargées, dans un établissement vieillissant. « Nos enfants ne sont pas traumatisés par la vétusté des locaux. Ils s’adaptent, même s’ils pourraient travailler dans de meilleures conditions. », « C’est un problème », déplore une mère de famille, Natacha Espinosa. Cette membre de la fédération des parents d’élèves de la FCPE cite des bâtiments trop petits, des chaises manquantes, ainsi que des casiers et des toilettes cassés.
Un autre parent la rejoint au café du coin. « Est-ce que ça te manque de retourner à l’école ? » Natacha Espinosa lui raconte. L’an dernier, Sébastien Crème s’est porté volontaire pour occuper un poste vacant en physique-chimie au collège. « Trois semaines après la rentrée, les élèves n’avaient toujours pas de professeur. J’ai donc fait une pause dans ma carrière pour devenir entrepreneur », Ce directeur technique en informatique plaisante. Il se souvient des conditions de travail « très dur » et une rémunération affichant « deux tiers de moins » que son salaire habituel.
Malgré une école publique « qui se détériore »Natacha Espinosa n’envisage pas de se tourner vers le secteur privé. Sébastien Crème non plus. « Pour l’avenir de mes enfants, je préfère qu’ils étudient dans une classe mixte, avec des professeurs passionnés. »
Les prénoms ont été modifiés.
francetvinfo