Divertissement

dans « Les graines du figuier sauvage », de Mohammad Rasoulof, le pacte faustien d’un juge en Iran

« Les graines du figuier sauvage », de Mohammad Rasoulof.

SÉLECTION OFFICIELLE – EN COMPÉTITION

Condamné en appel à huit ans de prison par le Tribunal révolutionnaire islamique (mais aussi au fouet et à la confiscation de ses biens), après avoir résolu de quitter immédiatement l’Iran pour s’exiler en Europe, le cinéaste Mohammad Rasoulof, arrivé sain et sauf, a bel et bien grimpé sur les marches du Palais des Festivals, vendredi 24 mai, à Cannes, pour présenter son dernier long métrage, Graines de figuier sauvageen compétition officielle pour la Palme d’Or.

Ce film long et dense, comme les aime le cinéaste, condense évidemment une grande partie de son expérience d’artiste persécuté, déjà en prison, aux prises avec la censure. Elle témoigne également de l’attention que le réalisateur porte au mouvement social, en contact direct avec l’actualité, notamment les manifestations qui se sont propagées, en 2022, sous la bannière « Femme, vie, liberté », suite au décès de l’étudiante Mahsa Amini, arrêtée par la police des mœurs. Pour ce faire, il adopte une forme caractéristique du cinéma d’auteur iranien, l’épineuse affaire morale se refermant comme un piège sur ses personnages.

Le récit s’ouvre sur l’image d’un pacte faustien, un contrat signé en gros plan par une main encore anonyme. Iman vient d’être nommé juge d’instruction au tribunal révolutionnaire de Téhéran, une promotion qu’il a souhaitée toute sa vie. Mais le métier, utilisé à mauvais escient par la hiérarchie pour faciliter les condamnations, n’est pas vu d’un très bon oeil, à tel point que l’heureux élu se voit remettre une arme pour protéger ses arrières. Cette position ne va pas sans exigences de respectabilité qu’Iman impose à sa femme, Najmeh, et à ses deux filles, Rezvan et Sana, à qui il enjoint de bien se comporter.

Tyran potentiel

Au même moment, une vague de protestation se propageait à travers le pays et des slogans comme « A bas la théocratie ! » » Ou « Femme, vie, liberté ». Une fracture générationnelle se dessine à l’intérieur du foyer : si les parents sont du côté de l’ordre, les filles, les étudiantes, se sentent solidaires des manifestants, et trouvent la révolte légitime. Ils prennent même le risque d’héberger, sous le nez du père, un camarade militant blessé au visage en plein cortège par la répression policière. La mère abandonne à contrecœur, mais les choses empirent lorsqu’Iman, un beau matin, ne met plus la main sur son revolver.

Lire la réunion (2024) | Article réservé à nos abonnés Mohammad Rasoulof, cinéaste en cavale au Festival de Cannes

Mohammad Rasoulof profite de la durée – 2 heures 48 minutes chargées au compteur – pour infiltrer en profondeur les relations familiales, sonder leurs rouages, sculpter finement les personnages, multiplier les interactions entre personnages. Plus encore qu’Iman, chien de garde du pouvoir et tyran potentiel, le personnage qui se démarque est sans doute celui de Najmeh, la mère, figure fascinante par son ambiguïté. Agente de l’harmonie familiale, elle joue le porte-parole de l’autorité paternelle, et se fait donc garante de l’ordre social, même si cela est contraire à sa liberté personnelle ou aux aspirations de ses filles. Il continue d’osciller sur l’étroite ligne de crête qui sépare les positions irréconciliables. Rasoulof dépeint cette divergence générationnelle à travers une foule de petits détails éloquents : ainsi les parents sont hypnotisés par la télévision, organe de propagande d’État, tandis que leurs filles s’informent sur les réseaux sociaux, où elles reçoivent des vidéos non filtrées des manifestations et des violences policières.

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Malagigi Boutot

A final year student studying sports and local and world sports news and a good supporter of all sports and Olympic activities and events.
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