« Combien de fois lorsque je prêche, les gens sont sortis pour exprimer leur désapprobation… » De telles situations, assure Joëlle Sutter-Razanajhary : « toutes les femmes dans la responsabilité ecclésiale », ou presque, peut en témoigner. A travers son association Servir ensemble, la pasteur, ancienne secrétaire générale de la Fédération des Églises évangéliques baptistes de France, organise samedi 22 juin une première rencontre ouverte à toutes les femmes francophones occupant des postes de responsabilité dans les églises évangéliques.
Théologiennes, étudiants, missionnaires, pasteurs… Une soixantaine de femmes se retrouveront dans les locaux parisiens de l’Alliance biblique française pour des temps d’échange et de partage. « Ce sera un moment important de fraternité, avec un programme assez léger pour laisser à chacune le temps de nouer des relations et d’échanger sur sa situation dans ses Églises respectives »résume Valérie Duval-Poujol, vice-présidente de la Fédération protestante de France et marraine de l’ensemble Servir.
S’adresser aux femmes
Cette matinée vise à lutter contre deux phénomènes, selon Joëlle Sutter-Razanajohary : « invisibilisation » et le « fragmentation ». « Dans les réunions, pour les projets, il y a une tendance dans certaines de nos Églises à s’adresser davantage aux hommes, aux marisnote-t-elle. Et surtout, les femmes qui ont des responsabilités ecclésiales se connaissent peu ! » L’enjeu est donc de tisser des liens entre femmes parfois « isolé » dans leurs communautés.
Ce compartimentage s’explique, pour certains, par la faible présence des femmes à des postes importants dans certaines confessions évangéliques, notamment dans les ministères pastoraux. C’est ce qu’observe Nathalie Riard, capitaine de l’Armée du Salut à Sierre, dans le Valais suisse. Le pasteur constate un manque de représentation des femmes dans les ministères importants dans la plupart des églises : « En théorie, certaines églises se disent ouvertes, mais en pratique, je suis toujours la seule femme à la table. »
Marjorie Legendre, professeur d’éthique à la Faculté évangélique de Vaux-sur-Seine, affirme ne pas l’avoir « Je n’ai jamais connu d’opposition » dans sa dénomination, l’Union des Églises évangéliques libres. « Je vais à cet événement pour soutenir les autres »elle dit.
« J’ai l’exemple d’un ami pasteur qui a été appelé dans une Église plutôt opposée à la pastorale féminine.se souvient Marjorie Legendre. Lorsqu’il est arrivé, certains membres ont quitté l’Église. Et c’était compliqué d’être accepté comme pasteur et non pas comme « assistant pastoral ». »
« À la faculté où j’enseigne, j’ai connu une jeune femme qui se sentait appelée au ministère pastoralpoursuit le curé qui officie à Gennevilliers. Mais elle a abandonné parce que sa confession ne reconnaît pas le ministère des femmes. Je vois cela comme du gaspillage. »
« La route sera encore longue »
Cette valorisation des ministères masculins au détriment des femmes est due au rapport qu’entretiennent les évangéliques avec la Bible. Au sein du protestantisme évangélique, de nombreuses églises appliquent strictement les textes bibliques. Le passage où Paul interdit « à la femme d’enseigner » dans la Première Lettre à Timothée (2, 12) est par exemple peu sujet à interprétation. « Prendre de la distance, analyser, revenir au texte ce qui est de particularité historique, plusieurs familles d’Églises ne souhaitent pas le faire »déplore Joëlle Sutter-Razanajhary.
Plusieurs participants insistent également sur la nécessité de témoigner « difficultés spécifiques » aux femmes, dont beaucoup « sont en minorité », d’autant que les mentalités évoluent petit à petit. Étudiante en théologie à l’Université catholique de Fribourg et rédactrice en chef du site d’information évangélique Christianity Today, Maude Burkhalter participera également à la matinée organisée par Servir ensemble, qui a pour vocation de devenir un événement annuel.
« On assiste de plus en plus au développement d’équipes ministérielles ou de gouvernance partagée dans les milieux évangéliques, qui s’éloignent de la figure pastorale du « one-man-band ».elle analyse. Cela permet l’émergence des femmes et la mise au service de leurs dons, pour le bien de l’Église. Le chemin est donc commencé et cela me plaît beaucoup, mais il sera encore long pour certains milieux évangéliques. »
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Quelles églises protestantes accueillent les femmes pasteurs ?
Au sein du protestantisme, la majorité des Églises et unions d’Églises sont ouvertes au pastorat féminin. C’est le cas de toutes les Églises luthériennes réformées : les femmes représentent plus d’un tiers des pasteurs de l’Église protestante unie de France.
Pour les églises évangéliques, les confessions baptistes et méthodistes autorisent largement le pastorat féminin. D’autres comme les Assemblées de Dieu ou la mission évangélique gitane Vie et Lumière ne le reconnaissent pas.
Peu à peu, plusieurs communautés évangéliques font un pas dans la direction du ministère des femmes. En mai, lors de son synode, l’Union des Églises évangéliques arméniennes a officiellement ouvert la porte, sous réserve de l’accord de la congrégation locale.