Que faire des musulmans qui frappent à la porte de l’Église catholique ? Si au niveau national, le nombre de catéchumènes issus de l’Islam est plutôt stable ces dernières années – il se situe autour de 200 à 300 par an, et 350 en 2024, soit entre 3 et 5% des catéchumènes au niveau national –, la manière de les accompagner prend aujourd’hui de plus en plus d’importance. En témoigne la liste des faux pas à éviter publiée sur le site Ananie, mandatée par le diocèse de Paris pour former les paroisses sur ce sujet. « Ne renvoyez pas le converti dans sa communauté », « ne l’enfermez pas dans l’Islam », « ne lui dites pas que nous avons déjà la même foi »… « Certains musulmans ont dû frapper aux portes de six ou sept paroisses avant de se sentir accueillis, explique le prêtre qui accompagne Anania. Par excès de charité, il leur est parfois conseillé de rester musulmans lorsqu’ils demandent le baptême. »
Le constat d’un manque de formation qui a poussé l’Église à réfléchir à la manière de mieux accueillir ces convertis. Si le sujet est si délicat, c’est notamment parce qu’il confronte deux approches dans l’Église. Celui marqué par la vision du dialogue interreligieux du Concile Vatican II, peu proactif dans l’évangélisation explicite, insistant sur le fait que Dieu œuvre déjà dans le cœur des musulmans. L’autre, celle des catholiques misant sur une annonce très explicite de leur foi et reprochant aux paroisses leur réticence à accueillir ces convertis de peur de froisser les musulmans.
Différentes sensibilités
Ainsi par exemple, la Mission Ismérie, créée en 2020, qui vise « annoncer le Christ aux musulmans » et D’« accompagner les convertis dans l’Église ». Sa démarche a pu susciter la méfiance de certains acteurs du dialogue interreligieux, qui lui reprochaient de véhiculer une vision identitaire du christianisme et une vision négative de l’islam, qui nuirait à la fraternité interreligieux. À tort? Pour le chercheur Julien Argoud, doctorant et auteur d’un prochain ouvrage sur les conversions de l’islam au catholicisme, cette association développerait « une évangélisation de combat ». « L’objectif est de faire tomber les piliers de la foi des musulmans. » analyse le chercheur, qui a mené de nombreux entretiens et observations au sein de la Mission Ismérie. « Lorsqu’ils évangélisent dans la rue, ils anticipent ce à quoi les musulmans sont les plus susceptibles de réagir dans leurs interactions. Pour chaque réponse possible, ils désignent des passages du Coran pour montrer que leur foi est dénuée de sens, irrationnelle ou violente. »
Des critiques que le nouveau directeur de la Mission Ismérie, Vincent Neymon, arrivé à sa tête en février 2023 après avoir été directeur de la communication de la Conférence des évêques de France (CEF), tente désormais d’atténuer. « L’un des défauts reprochés à Ismeria était sa coloration politique », retrace celui qui croit diriger depuis son arrivée « une œuvre de purification », dans « en supprimant ce qui pourrait paraître trop identitaire ou ce qui pourrait être considéré comme des attaques frontales contre l’Islam ».
Consciente de ces divisions entre catholiques, la Conférence des évêques de France souhaite aujourd’hui un dialogue entre ces acteurs aux sensibilités différentes. « Nous pensons qu’une consultation doit être menée pour une relecture, un discernement et un ajustement des pratiques missionnaires et pastorales », indique le dominicain Jean-François Bour, directeur du Service national des relations avec les musulmans du CEF, qui souhaite « Les catholiques dans leur diversité se parlent, et à travers cet échange chacun fait un pas vers les autres ».
« Nous n’avons pas besoin d’intervenir dans sa compréhension de ce qu’est l’Islam »
Dans les paroisses, dans l’accompagnement des catéchumènes, ces deux visions ne sont pas toujours aussi marquées, et toutes deux se retrouvent aujourd’hui dans des préoccupations communes. Tout d’abord, accueillez ces nouveaux chrétiens avec beaucoup de prudence, compte tenu des difficultés que peut engendrer l’annonce d’une conversion dans une famille musulmane. L’apostasie, ou abandon de l’Islam, est en effet considérée comme un grand péché par de nombreux musulmans. « Dans la grande majorité des cas, on observe une rupture plus ou moins longue entre le converti et sa famille, qui peut durer de trois mois à plusieurs années », décrit Julien Argoud. D’où la discrétion que réclament souvent ces convertis.
Il faut aussi savoir trouver les mots justes, pour ces nouveaux chrétiens qui ont parfois un fort rejet de leur religion d’origine. Si ceux qui les accompagnent peuvent tenter, avec une bonne foi parfois maladroite, de déployer leur vision bienveillante de l’Islam, il est surtout important pour le Père Xavier Chavane, curé de Sartrouville et acteur du dialogue islamo-chrétien, dans un premier temps de « Laissez-les parler, car l’expérience, même si elle est douloureuse, est là. »
Le prêtre qui accompagne les catéchumènes dans le cadre de la mission d’Ananias croit aussi « qu’il faut partir de là où se trouve la personne, et accueillir son expérience, même si elle est violente. »« Si on le conteste, la personne ne se sent pas comprise » il croit. Il juge que « Nous n’avons pas à intervenir dans sa compréhension de ce qu’est l’Islam. » Et de citer, en contre-exemple, un couple de catholiques expliquant à un ancien musulman salafiste que l’Islam est une religion d’amour.. « Les catéchumènes trouvaient ça prétentieux » il se souvient.
Si le converti est accueilli tel qu’il est, avec son expérience unique de son ancienne religion, le Père Chavane ne renonce pas à rappeler dans un second temps la doctrine de l’Église catholique sur le dialogue interreligieux qui « invite tous les baptisés à voir les germes de la Parole présents dans les autres religions.» En d’autres termes : ne niez pas ce qu’il y a de bon et de vrai dans l’Islam, même si aujourd’hui ils cherchent à suivre le Christ.