Dans le nouveau studio du géant Ubisoft à Bordeaux, où se prépare secrètement le dernier « Assassin’s Creed »
Il est imposant mais peu de Bordelais savent ce qu’il contient. Une toute nouvelle et longue bâtisse a vu le jour à proximité du jardin botanique, sur la rive droite du quartier de la Bastide. C’est ici que l’un des fleurons du géant du jeu vidéo Ubisoft s’est discrètement implanté et est officiellement inauguré ce mardi.
L’un des plus grands studios Ubisoft au monde
Implanté depuis 2017 sur la rive gauche de Bordeaux, Ubisoft étend ses ambitions bordelaises avec ce studio de près de 8 000 m2 qui rassemble 400 collaborateurs. 20 minutes fait le tour des lieux, calibrés pour compter dans les années à venir, alors même que les actions boursières du groupe, dont le chiffre d’affaires pour 2023-2024 s’élève à 2,32 milliards, connaissent des hauts et des bas. « Le secteur du jeu vidéo, dont Ubisoft est partie prenante, est dans une période assez concurrentielle et assez difficile », commente Julien Mayeux, directeur général d’Ubisoft Bordeaux, sans plus d’explications.
Mais pour lui, cela ne fait aucun doute : Bordeaux jouera un rôle clé dans l’avenir du groupe. « Le succès deAssassin’s Creed Mirage nous a placé sur la carte des grands studios Ubisoft dans le monde, estime-t-il. Nous sommes un studio « Assassin » et nous continuerons dans cette veine, même si toute l’expertise que nous avons créée autour d’Assassin’s Creed peut également être mobilisée dans d’autres univers, nous ne fermons la porte à rien. »
Aucune information de fond ne divulgue sur la publication à enjeux élevésL’Ombre d’Assassin’s Creedle nouvel opus autour du Japon féodal dont la sortie a été légèrement décalée et fixée au 14 février 2025. « C’est plutôt une bonne nouvelle pour les joueurs car on laisse plus de temps aux développeurs pour bien finir le jeu », commente sobrement Julien Mayeux. En attendant, sur tous les écrans des salariés ce jour-là ce sont des personnages Mirage et sur toutes les lèvres aussi.
« Une bible artistique » comme guide
Autoproclamé « créateur de mondes », Ubisoft rassemble 70 à 80 métiers différents pour produire ses jeux. « La vision artistique doit être bien établie dès le départ car des centaines de personnes participent à la production du jeu, dans treize studios différents, répartis dans au moins cinq à six pays », souligne Julien Mayeux.
C’est l’équipe artistique, dirigée par Jean-Luc Sala sur Mirage qui a développé « la Bible artistique » et ses dix commandements. Devant des vues des toits de Bagdad au IXe siècle, le directeur artistique affirme qu’une « équipe d’authenticité », composée notamment d’historiens, a « éduqué » les personnes impliquées dans le projet. Cette volonté de coller au plus près de la véracité historique est l’une des marques de fabrique des jeux. Assassin.
« Nous ne sommes pas non plus une leçon d’histoire, mais nous cherchons à être le plus crédible possible puisque nous allons être une fenêtre sur la période », explique le directeur artistique. Mais nous souhaitons avant tout proposer un voyage immersif dans le temps, au cours duquel on passe de bons moments à courir sur les toits.
L’équipe dispose d’une salle de projection dans le studio bordelais pour ne laisser aucun détail au hasard. « Nous avons reconstruit cette ville et avons voulu montrer qu’elle était sur un croissant fertile mais aussi extrêmement innovante, notamment en matière d’astronomie et de gestion des canaux », ajoute Salomé Strappazzon, directrice artistique associée.
« Est-ce que ça aura l’air bien quand il grimpera et sautera ? » »
L’équipe « chara » (pour caractère en anglais) était composée d’une douzaine de personnes sur Mirage. «On commence par une biographie et une fiche avec des caractéristiques, comme un jeu de rôle», explique Arthur Gatineau, en charge de la création des personnages. C’est un processus itératif, qui peut nous prendre un an.
Au-delà des personnages principaux, les enjeux consistent à diversifier les foules, tout en mettant en avant, par exemple, les différences sociologiques entre les quartiers d’une ville. Avant que l’équipe d’animation ne prenne le relais, il s’agit également de préparer toute la charpente qui déterminera les déplacements des personnages et leur équipement. «Pour faire sauter la capuche ou que ce qui est métallique garde sa forme, puisque la cotte de mailles ne bouge pas comme un tissu par exemple», explique un collègue d’Arthur Gatineau. Ou finalement, on se demande : est-ce que ça aura fière allure quand il grimpera et sautera partout ? »
Côté animation, le studio bordelais dispose d’un équipement de pointe pour travailler en motion capture sur des chorégraphies de personnages. « Un studio de motion capture nécessite la mobilisation de 25 personnes, dont des comédiens professionnels, ce qui entraîne au final un coût horaire très élevé. Là, notre propre matériel nous permet de préparer tout le travail à l’avance, de faire tous les réglages, et d’arriver le jour du tournage avec quelque chose de bien plus abouti. » Et, cerise sur le gâteau, les animateurs peuvent se glisser dans leurs personnages. De quoi booster leur créativité.
Un petit paradis pour les joueurs
Qu’en pensent les joueurs ? C’est la question qui obsède Ubisoft à chaque étape de son développement. Pour l’apprécier, l’entreprise invite, moyennant rémunération, des « gamers » joyeusement installés dans le studio bordelais, avec un espace détente et des postes de jeux très confortables. « On peut avoir 300 à 500 testeurs pour un jeu », assure Tristan Dufour, en charge de l’expérience client. Et une autre salle voisine permet aux designers de découvrir en direct les réactions des testeurs.
Ces derniers ne sont pas là pour trouver des bugs, puisque cela fait partie de la mission des professionnels qualifiés, mais simplement pour expérimenter le jeu. Une étape indispensable pour voir par exemple si les attaques des personnages sont bien « lues » ou plus globalement pour améliorer la fluidité du jeu. Chez Ubisoft, les testeurs ne font qu’une seule session par jeu car le groupe recherche un « regard neuf », convaincu que c’est le premier contact avec le jeu qui est déterminant », ajoute Tristan Dufour.
Ubisoft ne joue pas avec l’innovation
A l’étage supérieur du bâtiment se niche la Forge, l’équipe de recherche et développement d’Ubisoft. Guillaume Gaudron, son directeur, parle d’une des dernières technologies développées par son équipe, grâce notamment à l’IA, et qui permet de « générer automatiquement l’intérieur des bâtiments d’une ville parcourue par le personnage du jeu, et ceci en temps réel avec une impression de diversité ».
Ces textures sont déployées dans trois des jeux du groupe. Ils ont le double avantage de réduire le travail de l’artiste qui peut se concentrer sur des tâches plus valorisantes et de permettre une économie de 60% de mémoire, dans un contexte où les jeux prennent beaucoup de place.
Calibré pour assurer de grosses productions, le studio bordelais devrait être amené à apporter des contributions significatives aux prochains jeux du groupe, dans le plus grand secret. « Notre ambition est de faire les meilleurs jeux dans les années à venir », affirme le manager général, nous laissant forcément un peu sur notre faim…