Dans le Gard, des salariés « dévastés » par la fermeture d’une usine de PFAS
Salindres (Gard), reportage
Le silence est lourd, seul le ronronnement du moteur du camion syndical CGT est entendu. Environ 400 personnes sont venues manifester samedi 5 octobre contre l’annonce faite par Solvay aux salariés de son usine de Salindres (Gard) le 24 septembre. La production chimique sera arrêtée l’année prochaine. D’ici octobre 2025, 68 postes auront été supprimés.
Damien Olry, délégué syndical CGT du groupe – le syndicat le plus représenté sur le site – et « opérateur de fabrication » à l’usine, commence un discours d’une voix tremblante. Devant lui, les bâtiments et les cheminées du site chimique, bloqués par les salariés en grève depuis l’annonce il y a près de deux semaines. « Il est de la responsabilité de Solvay de maintenir l’emploi et la santé publique »insiste-t-il.
Car à l’inquiétude sociale s’ajoute l’inquiétude pour la santé des travailleurs et des riverains. En février dernier, l’association Génération Futures et plusieurs médias révélaient des refus massifs de ATFune des substances produites sur place et une de celles-ci « polluants éternels » quels sont les SPFAdans les cours d’eau adjacents à l’usine. « Salindres vivra les gars ! » » encourage le syndicaliste, avant le début de la manifestation.
Dans le cortège, où se mêlaient familles, habitants et élus aux salariés, les mines font grave. La nouvelle est tombée comme un marteau, personne ne s’y attendait. « Il y a environ deux mois, nous avons eu un autre discours de notre réalisateur qui nous disait de nous mettre au défi, que nous allions produire davantage »se souvient Enzo Ferroudji, délégué syndical CGT à l’usine.
« On a le sentiment d’être trahis par cette entreprise qui a réuni des élus il y a quelques mois et qui a dit « on y restera » »ajoute Jean-Luc Gibelin, adjoint au maire de Salindres et vice-président des transports de la région Occitanie. L’affaire alimente d’autant plus la colère que Solvay a réalisé 588 millions d’euros de bénéfices en 2023.
« Nous sommes dévastés, en colère, tristes. Solvay détruit beaucoup de vies »résume Damien Olry. Car dans ce quartier où les usines ferment les unes après les autres, il semble quasiment impossible de trouver un emploi équivalent en salaire et en compétences. Comme pour les autres sites Solvay, « c’est soit La Rochelle, Dombasle, ou Collonges, donc pas à proximité »ajoute-t-il.
« Je suis un enfant de Salindres »
La plupart des salariés ne se voient pas partir à l’autre bout de la France. « J’ai 32 ans, je vis dans ma nouvelle maison depuis trois semaines, j’ai du crédit et un enfant de deux ans et demi. »énumère Joris Carlini, derrière les lunettes de soleil qui cachent ses cernes. Il travaille sur trois équipes de production. Son grand-père et son père travaillaient déjà à l’usine. Il y a fait son premier stage il y a treize ans. « Je suis un enfant de Salindres. Je vivais avec l’usine, au rythme des sirènes chaque premier mercredi du mois. »
Enzo Ferroudji ne se voit pas non plus partir. « Ma fille est handicapée et est suivie par de nombreux médecins. Il a besoin de stabilité »explique-t-il calmement, les mains croisées dans le dos. Plutôt que de lui-même, il préfère parler de ses collègues : « L’âge moyen sur le site est de 43 ans, c’est terrible. Certains ont vécu principalement grâce à l’usine, c’est leur seule expérience professionnelle. A 45, 50 ans, comment se redresser ? ? »
Sans compter que Solvay soutient les sous-traitants et contribue à l’économie locale. « Certaines entreprises de sous-traitance ont 100 emplois % dédié à Solvay »souligne Ghislain Chassary, maire de la commune voisine de Rousson. « C’est une bonne centaine d’emplois supplémentaires qui seront impactés. Et aussi des commerces et services publics. »
Solvay a justifié sa décision d’arrêter la production chimique à Salindres par « forte concurrence internationale, principalement asiatique, sur ATF (acides trifluoroacétiques) et dérivés fluorés. Mais aussi un durcissement des réglementations françaises et européennes sur SPFA (substances per- et polyfluoroalkyles), nécessitant des investissements importants qui ne seraient pas justifiés au vu des performances du site de Salindres ces dernières années ». C’est ainsi que le seul site de fabrication européen de ATF — une substance utilisée notamment pour la fabrication de pesticides et de médicaments — cesse son activité.
Plus moyen de polluer en toute tranquillité ?
Des arguments qui n’ont pas convaincu Sophian Hanous, représentant du personnel. « Nous réfutons complètement l’argument économique »il décide. Pour lui, Solvay tente d’échapper à ses responsabilités et s’en va car il ne peut plus polluer en silence.
« Tant qu’il n’y avait pas de normes de rejet pour ces SPFAnous avons produit autant que nous pouvionsdit-il. Et maintenant qu’il commence à y avoir des normes plus restrictives et légitimes pour la protection des personnes, on arrête… »
Pour autant, Sophian Hanous ne reproche pas à l’association Générations Futures d’avoir révélé que l’on retrouve ATF et les autres substances produites par l’usine en très grande quantité dans l’Avène et l’Arias, les deux rivières proches de l’usine, ainsi que dans le Gardon d’Alès où elles coulent. « Sans eux, nous respirerions encore des produits qui nous sont présentés comme inoffensifs. »dit-il.
Il sait notamment qu’une étude sur des lapins exposés à ATF présentaient des malformations sur les yeux et le squelette des jeunes lapins livrés. Ayant appris cela, « revoyons le filmdit-il. Nous avons pas mal de collègues qui ont eu des enfants malades, deux fausses couches tardives à quelques mois d’intervalle… Et nous avons travaillé sans protection au niveau des mètres cubes de ces produits ! »
Les salariés rencontrés par Reporterre craignez la double peine. Laissons Solvay disparaître en supprimant des emplois… Et laissons le personnel et les habitants tranquilles face aux conséquences de la pollution. « Si malheureusement des maladies ou des cancers éclatent dans dix à quinze ans, que se passe-t-il ? ? » demande Damien Olry.
« Garder le personnel leur permet de ne pas avoir à décontaminer »
Bien sûr, Solvay ne part pas complètement, il laisse quelques salariés au sein de l’entreprise. GIE — groupement d’intérêt économique — qui gère le site de l’usine avec d’autres entreprises, qui restent très présentes. « Mais c’est parce que s’il n’y a plus de personnel de Solvay du jour au lendemain, ils doivent immédiatement nettoyer le site et cela représente un coût important. Garder le personnel leur permet de ne pas avoir à décontaminer »estime le syndicaliste.
Il avait obtenu que tous les salariés subissent des prélèvements d’urine et de sang afin d’étudier leur exposition aux SPFA. « C’était censé se faire là-bas, mais maintenant tout est en veille »se lamente-t-il.
Les politiciens locaux sont plus prudents lorsqu’ils parlent de pollution. Pour eux, les révélations de février dernier ont apporté une mauvaise presse au territoire. « Ici on vit bien »» défend le maire de Salindres Étienne Malachanne, alors que le cortège arrive devant sa mairie.
« Nous aimerions que les Ministères de l’Ecologie et de l’Industrie nous indiquent si ce produit est dangereux. »ajoute Jean-Luc Gibelin. « Et dans ce cas, on arrête de l’utiliser, on ne l’importe pas de pays où il est fabriqué dans des conditions moins contrôlées qu’ici à Salindres. »
Au fur et à mesure qu’il s’étendait dans les petites rues de Salindres, le cortège devenait plus calme. Les habitants le regardent passer et lui montrent leur soutien. Au Café de l’usine, certains se sont arrêtés pour prendre l’apéritif. Les manifestants entament la montée pour revenir devant le site, sur une hauteur, comme pour rappeler à quel point il est le cœur battant de cette petite ville de 3 600 habitants depuis 170 ans.
Malgré les perspectives qui s’amenuisent, Sophian rêve toujours de construire son usine et de fabriquer d’autres produits dont la dangerosité ne susciterait pas de polémique. « Nous souhaitons que le site soit nettoyé et redevienne une usine plus propre, avec le plus faible impact environnemental possible. »il espère.