dans le camp présidentiel, le "sexisme insidieux" derrière la "parité de façade"
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dans le camp présidentiel, le « sexisme insidieux » derrière la « parité de façade »

dans le camp présidentiel, le « sexisme insidieux » derrière la « parité de façade »

« Si tu te tiens devant moi, je pourrai te donner un coup de pied. » La petite phrase est lancée par un député MoDem à sa collègue Elodie Jacquier-Laforge, au début d’une réunion de groupe. La députée, vice-présidente de l’Assemblée nationale, écarquille les yeux, mais répond d’emblée : « C’est quoi cette blague de plouc ? » L’échange s’arrête là. Mais cela montre que dans les couloirs du pouvoir, en 2024, le sexisme n’a pas disparu. « Je pense que j’y fais face tous les jours. Ce sont des réflexions sur ma façon de m’habiller, de me coiffer… Cela vient souvent d’une génération plus âgée que la mienne »poursuit cet élu isérois de 45 ans.

Quatre-vingts ans après l’ordonnance du 21 avril 1944 accordant aux femmes le droit de vote et d’éligibilité, l’égalité entre hommes et femmes n’est toujours pas une évidence. Même dans un camp qui l’a affiché comme la grande cause de ses deux quinquennats. Toutes les femmes macronistes interrogées par franceinfo assurent néanmoins que le comportement n’a plus grand-chose à voir avec ce qu’ont pu subir leurs aînées. « A l’Assemblée, ils restent seuls »assure la députée de la Renaissance Sarah Tanzilli. Peut-être parce que l’hémicycle s’est davantage féminisé, avec 39 % de femmes élues en 2017 (contre 27 % en 2012), et 37 % en 2022.

« Club de garçons » et « gouverneur de sororité »

Il persiste néanmoins « un sexisme insidieux » selon les mots d’Elisabeth Borne, sur RTL, le 8 mars. « C’est sournois, on ne m’a jamais fait de blague sexiste, mais la camaraderie entre hommes reste présente. » soutient un ancien ministre.

« Ce sont des repas qui ont lieu entre hommes, des petits apartés après le Conseil des ministres où les femmes ne sont pas incluses. »

Un ancien ministre

sur franceinfo

Cette ancienne membre de l’exécutif se souvient s’être retrouvée, une fois sur le banc lors des questions au gouvernement, assise entre Gérald Darmanin et Eric Dupond-Moretti. « Ils parlaient de moi, j’étais transparent. » Un autre membre du gouvernement d’Elisabeth Borne atteste également « réunions de clans » entre hommes « qui rient entre eux ». « C’est indifférent et ça m’énerve en même temps », soupire-t-elle. Cette atmosphère de club de garçons n’est pas sans conséquences politiques. «Cela leur permet de mener plus facilement des dossiers ensemble.» assure un autre ex-ministre. « Les femmes sont encore considérées comme des intruses sur la scène politique et nous leur faisons comprendre »observe la politologue et sociologue Mariette Sineau, co-auteure de l’ouvrage Les femmes et la République.

Pour faire face à cette marginalisation, les femmes politiques imaginent leurs propres espaces. Lorsqu’elle occupait Matignon, Elisabeth Borne organisait un dîner entre femmes ministres, auquel était conviée sa prédécesseure Edith Cresson. « Ce n’était pas très naturel, on ne sait pas comment faire », se souvient un participant. Une boucle WhatsApp appelée « sororité gouvernementale » a également regroupé des femmes membres de l’exécutif.

Aujourd’hui, les femmes membres du gouvernement se retrouvent autour de petits-déjeuners, dont le premier a été initié par la ministre du Travail et de la Santé, Catherine Vautrin, le 21 février. « L’idée était de créer un moment convivial, de se présenter », explique l’entourage du ministre. Une seconde a été organisée, un mois plus tard, par Amélie Oudéa-Castéra, la ministre des Sports. Au programme des dix ministres présents : introduction aux Jeux Olympiques. Une autre est prévue fin avril, à l’invitation d’Aurore Bergé, chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes.

Ironiquement, tous les invités ne participent pas à ces réunions. « J’emmène mes enfants à l’école à ce moment-là ! Sinon, pas de problème, mais à un autre moment de la journée. », commente la porte-parole du gouvernement, Prisca Thévenot. Les députés organisent également des dîners entre eux. « Ce sont des cadres informels, plus propices à l’échange, qui permettent de croiser nos ressentis et de mieux visualiser certaines stratégies masculines »explique Élodie Jacquier-Laforge.

Un déséquilibre persistant dans les entreprises

Ce que vivent ces élus et ces ministres existe de la même manière au sein des cabinets ministériels. Un ancien chef de cabinet décrit aussi des moments informels auxquels les femmes n’étaient pas conviées.

« Quand on est chef de cabinet et qu’on a moins de liens que d’autres avec ses collègues masculins, on perd de l’information. Mais l’information, c’est le pouvoir. »

Un ancien chef de cabinet

sur franceinfo

A son niveau, les femmes « dircab » – le poste le plus important, après celui de ministre – sont très rares. Actuellement, seules huit femmes occupent un tel poste, pour 27 hommes. « Il est infiniment plus difficile de trouver des femmes dircab pour des questions de vie personnelle », observe l’ancienne ministre des Affaires européennes Nathalie Loiseau. Même au plus haut niveau de l’État, on retrouve, comme dans le reste de la société, des inégalités dans le partage du travail domestique.

Depuis fin décembre 2023, un décret pris sur le fondement de la loi du 19 juillet 2023 impose d’avoir au moins 40 % de femmes ou d’hommes dans les cabinets ministériels, avant la parité totale attendue pour 2026. « C’est grâce aux quotas qu’on peut faire bouger les choses »défend la députée Renaissance Véronique Riotton, président du délégation Droits des femmes et égalité des chances. Même si aucune sanction financière n’est prévue en cas de non-respect, « c’est nom et honte« soit une publication de l’identité des entreprises concernées dans le but de les exposer aux critiques, précise Guillaume Gouffier-Valente, député Renaissance et rapporteur de la loi de juillet 2023.

« Des stéréotypes de genre qui persistent »

Aujourd’hui, 43 % des conseillers ministériels sont des femmes. Mais ce chiffre cache d’importantes disparités selon les ministères et les postes. Les périmètres semblent toujours genrés et les plus hautes responsabilités majoritairement confiées aux hommes. Assez caricatural, le ministre de la Défense compte le plus de conseillers masculins tandis que le ministre en charge de l’Égalité femmes-hommes compte le plus de femmes.

« Ce sont des stéréotypes de genre qui perdurent. On le voit au gouvernement, mais aussi à l’Assemblée. Nous devons continuer à faire pression pour que les femmes soient aux commandes. »insiste Véronique Riotton. « Il faut faire ce recensement pour bousculer les choses et se méfier des fausses parités. Nous devons être ultra-vigilants »assure Prisca Thévenot. « Je constate seulement qu’il y a encore beaucoup de travail à faire dans les bureaux », soutient Guillaume Gouffier-Valente. Le député rappelle « qu’une décision est bien meilleure lorsqu’elle est prise de manière mixte ».

Interrogés sur ce point, les services du Premier ministre affirment que les cabinets sont encouragés à « assurer une proposition équilibrée entre hommes et femmes » Et «doit être exemplaire». Ils se rappellent avoir envoyé une circulaire demandant que « les entreprises ne comptent pas moins de 40 % de personnes du sexe le moins représenté ». « Cette incitation concerne tous les postes et la parité au niveau des directeurs de cabinet est également encouragée. Les exceptions à ce principe sont exceptionnelles. »on rajoute encore à Matignon.

Le gouvernement de Gabriel Attal est certes paritaire (18 femmes et 17 hommes), mais là encore, les femmes sont loin d’être majoritaires aux postes les plus importants. « C’est une façade de parité, qui cache une asymétrie du pouvoirobserve Mariette Sineau. Aucune femme n’occupe une position souveraine et seules 38 % ont un ministère à part entière. Il y a eu une régression par rapport aux gouvernements précédents. »

L’équipe du Président de la République n’échappe pas à ce déséquilibre. Ils sont 58 hommes à conseiller Emmanuel Macron, contre 21 femmes. Le seul pôle qui compte plus de femmes que d’hommes est le pôle social.

« Le président est entouré de garsnote un ancien conseiller de l’exécutif. On en a parfois ri, les femmes sont sur des sujets sociétaux et les hommes sur l’économie et le souverain.» « Il s’en remet et il ne donne pas non plus l’exemple, il suffit de regarder ses équipes à l’Elysée. » » acquiesce un membre de la majorité. L’Elysée n’a pas répondu à nos sollicitations à ce sujet.

« La référence, ce sont les hommes »

Elisabeth Borne a eu le loisir d’embrasser tous les sujets pendant 20 mois à Matignon. Après deux Premiers ministres – Edouard Philippe et Jean Castex – Emmanuel Macron a tardivement accordé le sien « souhait » de 2017 pour nommer une femme à la tête du gouvernement. L’ancienne Première ministre, qui siège désormais au sein du groupe Renaissance à l’Assemblée, a encore peu parlé de son expérience. Mais, le 8 mars, elle a voulu raconter – un peu – ce milieu politique encore régi par « codes masculins ». « La référence, ce sont les hommes »elle a insisté sur RTL.

« Il y a eu tous ces petits commentaires : ‘Elle a froid, pas gentille, elle ne mange que des graines…’. Mais s’il y a eu des moments de tension entre Matignon et l’Elysée, ce n’est pas parce qu’elle mange des graines ! »se souvient un ancien conseiller de l’exécutif. « ‘Autoritaire’, ‘techno’… Si on donne à un homme tous les adjectifs qu’on attribuait à Borne, il devient un héros !», soupire un autre, qui se souvient d’appels téléphoniques au cours desquels le locataire de Matignon a été le dernier contacté, après une ribambelle d’hommes. Elisabeth Borne a d’ailleurs été surprise de voir que seuls des noms d’hommes circulaient pour la remplacer.

« (C’était) comme si les commentateurs se disaient : ‘Ça fait vingt mois qu’on a une femme Premier ministre, ça y est, on revient à la vie normale, donc le prochain sera un homme’. »

Elisabeth Borne, ancienne Première ministre

chez RTL

Depuis le départ d’Elisabeth Borne, les exécutifs de la majorité, à l’exception du président de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet, ne sont que des hommes. « La réunion à l’Elysée sur le déficit (20 mars) C’est assez symptomatique : il n’y avait que des hommes, comme si les finances étaient trop importantes pour que les femmes puissent s’en occuper. »soupire un membre de la majorité.

Valérie Hayer « est constamment harcelée »

La désignation de Valérie Hayer comme tête de liste de Renaissance pour les élections européennes provoque un commentaire ironique de la part d’un membre du camp présidentiel : « Une femme, et une jeune en plus… On n’est pas très habitué à ça en macronie ! » Mais l’attitude des exécutifs de la majorité à l’égard de leur candidat – présenté dans la presse comme un choix par défaut – fait sourciller en interne.

« On ne la laisse pas être elle-même ! Elle est constamment harcelée. Lorsqu’elle venait à une réunion de groupe, elle était flanquée d’Olivier Dussopt et de Pieyre-Alexandre Anglade sur l’estrade… », s’agace un cadre de Renaissance. Ce qui rappelle à la députée européenne Nathalie Loiseau sa propre expérience. « Tout un tas d’hommes se demandaient pourquoi c’était moi et pas euxse souvient la tête de liste de Renaissance aux élections européennes de 2019. Je l’ai senti d’un coup, quelqu’un vient te dire que tu devrais changer de coiffure, de lunettes… »

Pour la sociologue Mariette Sineau, « Il subsiste en politique des réflexes machistes propres à la culture française et qui remontent à la royauté, où la loi salique empêchait les femmes de gouverner, contrairement à d’autres pays européens. » Dans la majorité, le sujet suscite quelques signes d’agacement. « Certains me disent : ‘Ça suffit, on a beaucoup travaillé sur le sujet’, mais l’effort à faire est quand même considérable ! » dit Guillaume Gouffier-Valente. « Nous croyons en ! », des sourires Élodie Jacquier-Laforge.

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