Alain Damasio est écrivain, auteur de nouvelles et de romans de science-fiction, il a publié plusieurs ouvrages, dont La Horde du Vent arrière (La Volte, 2004, Grand Prix de l’Imaginaire 2006), Les furtifs (La Volte, 2019, prix du meilleur livre lu et grand prix de l’Imaginaire 2020), La Silicon Valley (Seuil, 2024).
D’ici 2050, les deux tiers de l’humanité vivront dans des villes. Les villes seront-elles capables d’absorber cette masse humaine pour vivre mieux ou seront-elles des machines à écraser les humains ?
Quand on voit les mégapoles qui explosent jusqu’à 25-30 millions d’habitants, on se dit qu’il y a vraiment un défi majeur. A ces niveaux d’expansion urbaine, et souvent de densité, la convocation d’espaces sauvages, du moins naturels, devient telle que tout ressourcement possible est empêché : tous les horizons sont coupés, la circulation est coupée, les corps sont contraints, la pollution est maximale. . La vitalité est écrasée. Les villes sont devenues des biotopes « les humains, trop humains ». Ils sont entièrement configurés pour notre espèce, à l’exclusion de toute autre. La confrontation, si féconde, avec la vie végétale ou animale se tarit : tout ce qui n’est pas » Nous « est étiqueté » nocif « . Les rats recyclent-ils les déchets ? Nous les éradiquons. Les feuilles tombent ? Nous les jetons à la benne. À mes yeux, la vitalité humaine dépend d’une relation nourrie avec l’altérité. En nous cantonnant au strict inter-humain, nous nous étouffons.
Cet article est tiré de « Numéro spécial Le Monde : Réinventons la ville »Septembre 2024, en vente en kiosque ou sur notre site internet en magasin.
Finalement, on ne pense pas assez au terrain. Le fait que le sol de la ville soit recouvert d’une feuille d’asphalte qui ne respire pas montre qu’il n’y a plus de lien possible avec la terre. Nous sommes tous deux coupés du sol et du ciel : nous ne voyons plus le ciel étoilé, nous ne marchons plus sur un sol bruissant, et chaque rivière est recalibrée vers l’incision. Rien n’incarne mieux l’impulsion de terraformation de l’homme que la ville.
Pourquoi tu dis ça « San Francisco est la ville où le futur rencontre le présent » ?
C’est une expression courante là-bas qui veut dire qu’on est au « centre du monde » qui se fait et qui arrive. Les habitants de la Silicon Valley sont des techniciens spontanés. Ils testent constamment les nouvelles technologies, ils ont donc dix ans d’avance sur nous. Ici à Paris, certains portent des bijoux connectés ou une Apple Watch : cela reste modeste. En Californie, c’est presque la norme. Un salarié des Gafam (acronyme des géants du Web : Google – Alphabet –, Apple, Facebook – Meta –, Amazon et Microsoft) combine déjà dans le présent ce qu’ils nous vendront dans le futur. La voiture autonome roule déjà à San Francisco alors qu’on la verra en France dans dix ans, au mieux. Un ami, expert en gestion cloud, s’est rendu à San Francisco pour financer sa start-up. Après deux rencontres, nous lui avons dit : « En France, pour ce que vous faites, il y a une dizaine de clients, pas plus… Ici, il y a 2 500 entreprises qui peuvent être intéressées… »
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