Dans la rue, un large front populaire entre en campagne
Ils ont répondu. Ce samedi 15 juin, 640 000 personnes en France, dont 250 000 à Paris, place de la République (75 000 selon la police), se sont rassemblées. Le but : manifester contre une éventuelle arrivée du Rassemblement national à Matignon. » Nous sommes unisse réjouit Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT. On a déjà assisté à des manifestations très fortes, dès dimanche soir, avec un grand nombre de jeunes. Il y a une force qui monte dans le pays. » Dans la perspective des élections législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet, l’intersyndicale (CGT, CFDT, Unsa, FSU et Unef) et les associations (SOS Racisme, Ligue des droits de l’Homme) ont appelé les citoyens à manifester partout en France, durant le week-end des 15 et 16 juin. Leurs représentants (Sophie Binet pour la CGT, la secrétaire générale de la CFDT Marylise Léon, la présidente de la LDH Nathalie Tehio, etc.) sont déjà sur les lieux de la mobilisation, ce samedi de 12h30 A quelques mètres de là, les différentes délégations sont installées. Des fourgons aux couleurs syndicales entrent sur le boulevard du Temple. Les militants les plus motivés sont d’ailleurs déjà présents. C’est le cas de Farid, chauffeur de poids lourd originaire de la région belfortaine. « J’ai parcouru 600 kilomètres pour venir à la manifestation », dit-il aussitôt. Habitué à ce type de parcours, par exemple lorsqu’il participait au mouvement des Gilets Jaunes, il explique s’être senti obligé d’y participer : « Tout le monde s’est réuni. Nous devons tous être unis pour que le Nouveau Front Populaire gagne. »
« Le fascisme, c’est l’enfer »
Malgré un ciel gris, un vent fort et quelques gouttes de pluie, la foule était nombreuse dès 14 heures. Un orchestre joue au pied du monument de la République, tandis que les différents groupes s’apprêtent à repartir vers la place de la Bastille. Actualité oblige, les drapeaux kanaky et palestinien se mêlent à ceux des organisations syndicales et des partis qui composent le Nouveau Front Populaire. Car face à l’extrême droite, les luttes doivent converger. « Surtout en ce moment, où c’est compliqué pour tout le monde, tant au niveau de la société civile que des partis politiques », abonde Arié Alimi, avocat connu pour ses combats contre le racisme et les violences policières. Selon l’avocat qui est également vice-président de la LDH, l’urgence de la situation impose de passer au second plan toutes les divergences possibles : « Il ne faut pas poser trop de questions. Aujourd’hui, nous devons tous nous lancer dans la bataille avec notre cœur et notre âme. », il ajoute. Pour les manifestants, la lutte contre le racisme est au cœur de toutes les autres. « L’extrême droite a toujours eu un rapport conflictuel avec les luttes décoloniales » se souvient l’ancien lutteur professionnel, Kamel, veste militaire sur les épaules et drapeau algérien à la main. Louise, venue avec son fils Gabriel, dix ans, confirme : « Le fascisme est un enfer pour ma famille. Mon fils est franco-algérien. C’est donc un combat quotidien, pour moi comme pour lui à l’avenir. »
Le cortège part vers la Bastille. Les chansons se multiplient, « Siamo tutti antifascisti » a « Pas de quartier pour les fascistes, pas de fascistes dans nos quartiers »En passant par « De Gaza à Nouméa ». Même si l’écrasante majorité du cortège défile dans le calme, certaines tensions apparaissent. Une altercation, avec insultes et échanges de coups entre manifestants et un groupe d’émeutiers, a ralenti la progression du cortège près du cinéma MK2 Bastille. Des participants plus discrets débattent de l’actualité brûlante. Comme ces trois amis, tous d’une vingtaine d’années, qui s’amusent des prises de position tardives des influenceurs (Squeezie, Kameto, Mister V). « Vous comprenez, ça veut dire qu’on véhicule des idées », imite l’un d’eux. Un couple imagine la stratégie que les députés sortants Alexis Corbière, Raquel Garrido et Danielle Simonnet, non investis par la France Insoumise, adopteront pour les législatives anticipées : « Ils rejoindront d’autres partis de gauche ou se présenteront comme dissidents. »
Le Nouveau Front Populaire apparaît uni
Des représentants du Nouveau Front populaire, comme Marine Tondelier (Les Écologistes), Olivier Faure (Parti socialiste), Ian Brossat (Parti communiste français) et Mathilde Panot (France insoumise), sont présents. Malgré les tensions de ces dernières heures, le Nouveau Front Populaire apparaît uni. De quoi réjouir ceux qui croient en une victoire de la gauche, comme Fiona, militante à SOS Racisme depuis huit mois et étudiante en cinquième année de droit : « C’est déjà une victoire que nous ayons créé un syndicat. L’extrême droite, que ce soit à travers le Rassemblement National ou la Reconquête, se nourrit de haine. Ils sont opposés aux valeurs de la République. Il est important que tous les partis humanistes se réunissent, malgré leurs divergences. »
Cécile Duflot, directrice générale de l’ONG Oxfam France appelle cependant les forces de gauche à rester sur leurs gardes. « Le risque est énorme et, en même temps, très simple : le Rassemblement national peut gouverner en trois semaines », elle alerte. Je pense que les acteurs de gauche sont toujours dans le déni. Cette mobilisation, source d’espoir, est nécessaire, car je souhaite que nous soyons tous conscients de ce risque. » L’ancien secrétaire national d’Europe Écologie-les Verts (EELV) le sait « qu’au final, ce qui compte c’est que les électeurs votent circonscription par circonscription ». Matteo et Marie-Ange, respectivement étudiants en sociologie et Staps, le savent très bien, car il leur est difficile de motiver leurs proches. « Le plus compliqué pour moi, c’est de mobiliser mes parents, avoue Marie-Ange. Ils ne se sentent pas concernés, même s’ils sont racisés et originaires de Côte d’Ivoire. » Issu d’une famille politisée, dont les parents étaient membres du Nouveau Parti Anticapitaliste, Matteo a poussé ses amis à s’intéresser aux élections. « C’est une nécessité », leur insiste-t-il. Raison d’espoir pour l’étudiant, « Même ceux qui n’ont pas voté aux élections européennes disent qu’il faut agir ». Comme chez de nombreux citoyens, l’étonnement fait place à l’envie d’agir.
Tom Demars-Granja