Ken cascadeur
Depuis le succès du premier John Wick (qu’il a co-réalisé avec Chad Stahelski, toujours aux commandes de la saga), David Leitch est devenu l’un des noms préférés du cinéma d’action américain. Jusque-là, on se demandait pourquoi. Hormis quelques effets de style flashy (l’éternel plan séquence qui n’a d’autre but que de montrer qui a le plus gros), l’ancien cascadeur n’a jamais eu la flamboyance de son ancien partenaire, et son savoir-faire ne sert que la soupe aux franchises. (Dead Pool 2, Fast & Furious : Hobbs & Shaw) ou à un post-modernisme des plus embarrassants.
Train à grande vitesse était à cet égard la quintessence d’une fausse bonne idée, un concept cool qui ne dépasse jamais sa note d’intention. Dans les différents wagons du train qui lui sert de décor unique, le film se délecte de ses circonvolutions narratives, de son second degré permanent et autres coups de coudes pour le spectateur. Derrière ou devant l’écran, tout le monde est censé s’accorder sur le vide de la proposition, voire sa paresse, tandis que le résultat se moque des codes éculés des années 80 et 90 tout en les recyclant.
Pour être clair, Le gars qui tombe à pic n’évite pas la plupart de ces écueils, comme l’affirme son pitch décalé où un ancien cascadeur à la retraite, Colt Seavers (Ryan Gosling), infiltre le décor de Jody (Emily Blunt), la femme qu’il aime. Sa mission ? Retrouvez Tom Ryder (Aaron Taylor-Johnson), la star disparue du long-métrage que Colt a longtemps doublé.
Pour entretenir ce niveau d’absurdité et le suspense de son scénario tordu, le scénario enchaîne les apartés pseudo-tarantinesques et les ruptures de ton. C’est parfois amusant, mais les raccourcis narratifs faciles et les blagues qui détruisent toute envie de tension finissent par l’emporter, comme si le film refusait d’avoir des sentiments. Ce qui est assez paradoxal étant donné que Le gars qui tombe à pic parle de la profondeur de la difficulté des hommes à être sincères.
Le gars sympa
Archétype du bonhomme musclé et impassible, Colt apprend peu à peu à s’ouvrir aux autres et au monde, après s’être replié sur lui-même suite à une blessure qui aurait pu lui coûter la vie. Sans surprise, ce charisme teinté de fragilité convient parfaitement à Ryan Goslingqui continue de déconstruire tendrement l’image d’une masculinité envahissante, qui découvre qu’elle n’a pas tout à prouver par sa virilité.
A travers cette figure discrète, dont le pouce levé symbolise une façade fragile, Le gars qui tombe à pic rend à juste titre hommage à une profession d’anonymat, dont la raison d’être n’est autre que l’effacement, l’invisibilité. Pour la première fois de sa carrière, David Leitch trouve dans le personnage de Colt et chez son interprète un véritable sujet, inspiré de son passé de cascadeur (il fut notamment l’un des doublures de Brad Pitt) et de la fondation de 87North, une société de production. spécialisé dans le développement de séquences d’action.
L’autosatisfaction métatextuelle du réalisateur trouve donc ici sa justification. Nonchalamment, Le gars qui tombe à pic s’amuse à gratter la machine hollywoodienneses horaires surchargés, ses équipes ingérables et ses egos démesurés, qu’il s’agisse d’un producteur manipulateur ou d’un acteur diva qui fait semblant de faire ses propres cascades.
Cependant, la mise en abyme ne se limite pas à ces cibles faciles, et se concentre sur les petites mains discréditées par le système des studios. On peut trouver ironique qu’une des plus grandes célébrités hollywoodiennes actuelles joue un tel rôle, mais Gosling lui-même en est conscient et transforme sa performance en un remix de ses meilleurs rôles, quelque part entre le cascadeur muet de Conduire et l’exubérance burlesque de Ken.
Derrière le clin d’œil, c’est lui qui fait battre le petit cœur du long-métrage, et qui donne corps à son regard enfantin et émerveillé sur les coulisses du cinéma. David Leitch épure même au maximum ses scènes d’action, comme si son découpage demandait à être remarqué et mis à nu pour s’ancrer dans la réalité bizarre de sa narration. L’ensemble manque parfois de folie, mais a le mérite de son humilité de poupée gigogne, voyant Gosling incarner un double qui est elle-même doublée dès qu’une connexion le permet.
Blond atomique
C’est là l’agréable surprise de Le gars qui tombe à pic : sa capacité à donner du sens – et donc de la valeur – aux pires défauts de son réalisateur. Pour une fois, le plan séquence frimeur et standardisé ne recherche pas une prouesse logistique. Stratégiquement, Leitch l’utilise lors de son introduction, pour retracer toute la hiérarchie d’un plateau de tournage. On pourrait aussi lancer une discussion en écran partagé sur le sujet… écran partagé, un exercice ludique qui montre que le film a de l’énergie à revendre.
D’ailleurs, le cinéaste n’a jamais été aussi inventif en dehors de ses scènes d’action. A travers son mélange des genres plus harmonieux qu’à l’habitude, il s’intéresse avant tout à ses deux personnages principaux et à la manière dont ils tournent l’un autour de l’autre comme deux aimants. Le gars qui tombe à pic est à son meilleur lorsqu’il assume son rôle de comédie romantiquee, et rappelle, non sans une certaine nostalgie, l’importance négligée du glamour au cœur du spectacle hollywoodien.
Ryan Gosling et Emily Blunt sont évidemment parfaits pour étoffer cette dynamique, et leur duo se démarque par le contrepoint que le film aime mettre en avant : celui des visages interchangeables d’une industrie où les IP et leurs icônes comptent plus que ceux qui les interprètent. C’est sans aucun doute malhonnête compte tenu du pedigree de David Leitch, à moins d’y voir une forme de rédemption. Cette fois, on préfère voir le verre à moitié plein.