critique d’un pieux Hugh Grant
Le regard de mormon
Deux jeunes femmes (Sophie Thatcher et Chloe East, toutes deux excellentes) discutent sur un banc. Très vite, on comprend qu’il s’agit de professionnels mormons et qu’ils s’apprêtent à rendre visite à de potentielles recrues. A travers leur échange, le film annonce d’emblée le paradoxe auquel sont confrontées les sectes religieuses au XXIe siècle, d’une génération capable de détecter la présence de Dieu dans le porno vulgaire. Un paradoxe que ces deux jeunes femmes apparemment connectées incarnent parfaitement… et qu’on s’empresse de leur renvoyer.
Le reste, on le voit venir. Le duo arrive chez un vieil homme un peu trop chaud et un piège semble se refermer sur eux. Sauf qu’au lieu de s’engouffrer dans l’horreur pure ou dans un tunnel de rebondissements dès la fin du premier acte, dans la plus grande tradition du thriller sinistre des années 2000, cette situation initiale débouche sur un dialogue, puis sur un autre dialogue… Bien sûr. , Hérétique emprunte au genre sa structure à tiroirs, presque littéralement compte tenu de l’architecture de la maison. Mais les scénaristes assument de s’appuyer principalement sur les discussions entre ces trois personnages.. Ce qui concerne bien sûr leur relation avec Dieu.
Sur le papier, il y a de quoi se méfier, surtout après une douche froide 65. Et les amateurs du cinéma d’horreur américain contemporain extrêmement agressif lui en voudront peut-être. Les autres seront captivés par les discussions en question, dont on comprend vite qu’elles sont en réalité de véritables joutes, une bataille idéologique aux connotations plus qu’inquiétantes. Alors bien sûr, le casting de Hugh Grant et son sourire trop gentil pour être sincère y sont pour beaucoup. Mais le frisson qui parcourt le dos des héroïnes et des spectateurs est surtout dû à un talent de réalisateur qu’on ne soupçonnait pas chez les cinéastes.
Étirant la convention du champ inversé jusqu’à l’inconfort, abusant au contraire du gros plan, ils accompagnent chaque saillie de cette bataille rhétorique avec leur caméra. Beck et Woods vont jusqu’à insérer commodément de l’humour dans le mélange (la meilleure utilisation de Bob Ross à ce jour)… et font miraculeusement fonctionner leurs longues scènes. Du moins jusqu’à ce que l’un des deux mormons prenne conscience de la bataille verbale en cours, et que le film en révèle plus explicitement la démonstration.
Mouvements de nuit
De la moitié, Hérétique perd peut-être un peu en subtilité ce qu’il a réussi à conserver dans ses séquences de dialogue. Certains passages sont plus artificiels (tirade finale de Hugh Grant), un peu contraints par les quelques rebondissements qui s’enchaînent. Il n’en reste pas moins réussi, notamment en ce qui concerne son sujet : la religion et plus précisément la foi, ici bien sûr mise à l’épreuve.
C’est là que la comparaison avec le cinéma de M. Night Shyamalan (période 1990/2000, bien sûr) apparaît évidente. C’est aussi un merveilleux réalisateur, le réalisateur de Signes n’a cessé, à coup de rebondissements et de mises en abyme, de souligner le caractère artificiel de ses récits, maintenant un parallèle avec les grandes fictions mythologiques et surtout religieuses qui façonnent nos sociétés. Visiblement moins versé en spiritualité que le maître, qui ne faisait toujours que rappeler la nécessité de croire, le duo de cinéastes suit néanmoins ses traces.
Ici aussi, l’intrigue s’apparente presque à une fable. Ici aussi, l’unité de temps et de lieu reflète un discours théologique. Ici aussi, les personnages finissent par s’en rendre compte. Mais au lieu d’affirmer ainsi la toute-puissance de la foi, il aborde le sujet avec de véritables pincettes. On revient finalement au paradoxe de la séquence d’ouvertureopposant un culte des illusions répréhensibles et un athéisme s’enfonçant toujours plus dans le cynisme.
La meilleure idée deHérétique » est peut-être l’aveu de ses deux jeunes protagonistes. S’ils étaient catholiques, la hiérarchie des personnages aurait été établie dès le départ. Mais en suivant un culte généralement reçu avec plus de méfiance, surtout lorsqu’il fait du porte à porte, le spectateur est transporté au cœur du rapport contemporain à la spiritualité et de ses tensions, atteignant le religieux plutôt que les religions, l’aliéné plutôt que l’aliénation. , ceux qui s’appuient sur leur foi pour survivre plutôt que sur la foi en elle-même.
Et en fait, décrit le « guerre culturelle » qui fait désormais rage sur internet, plus intéressé à tester l’hypocrisie intrinsèque de telle ou telle croyance à grand renfort de pavés référencés qu’à faire preuve d’empathie envers ses pratiquants. C’est le sens même du terme « hérétique», réduisant les autres à leur aveu, ou à leur absence d’aveu, au détriment de tout le reste.
À l’ère de la post-vérité, nous sommes tous des hérétiques.. Et on ne pensait pas que cela serait souligné avec autant de justesse par ceux qui ont réussi à bousiller la rencontre entre Adam Driver et les dinosaures.