critique d’un Disney qui prend l’eau
Moana d’eau douce
L’idée n’était guère rassurante. En 2020, la directrice créative de Disney, Jennifer Lee, a annoncé que Moana allait sortir en série sur Disney+. Un choix décevant, mais logique au vu du succès fou du long-métrage sur la plateforme de streaming, dont il est l’une des œuvres du catalogue les plus revues.
Flashforward jusqu’en 2022, où les plans ont changé. Après deux années de gestion catastrophique (peu aidé par la crise sanitaire), le récent PDG de Disney, Bob Chapek, a été licencié, et Bob Iger a repris sa place de grand patron, avec des projets de suites toujours plus rassurants dans son sac. (et/ou paresseux) pour le studio. Pourtant, le réalisateur a eu une bonne idée qui s’est vite transformée en calice empoisonné : revenons aux bases de la série Moanaet en faire un long métrage pour les cinémas.
D’un côté, difficile de reprocher au PDG d’avoir remis sur le devant de la scène l’importance du grand écran et son pouvoir fédérateur, surtout pour une héroïne dont l’univers exotique et enchanteur ne cesse de conquérir les cœurs. De l’autre, Moana 2 semblait condamné au même sort que les suites boiteuses de la société branchée de direct-to-video (Le retour de Jafar, Cendrillon 2…), conçu pour capitaliser sur une réussite réussie sans la même orfèvrerie. Heureusement, le résultat final n’est pas aussi honteux, mais on ne peut pas dire que ce soit une panacée.
S’il y a une chose à sauver Moana 2C’est sa technique toujours aussi flamboyante. L’animation de la première partie était un véritable chef-d’œuvre technologique dans le rendu de la lumière et des textures (la simulation de l’eau, des matières humides, du sable, etc.), et sa suite nous permet d’appréhender avec le même sens du merveilleux ces fantastiques polynésiens. îles.
Toujours heureux, pourrait-on dire, surtout pour une histoire où Moana est à la recherche d’autres tribus d’explorateurs, fascinés par un ailleurs en constante expansion. On aurait aimé que Disney assume la frustration d’une quête basée sur un manque profond dans la vie de son héroïne (comme l’appel à l’aventure dans le premier film), mais le tout se contente d’un énième dieu maléfique et d’une malédiction. autour d’une île engloutie.
La légende à bout de souffle
Ce sentiment de répétition pourrait être pardonnable si Moana 2 n’a pas été handicapé par sa structure narrative. La division originale de l’histoire en épisodes de série se fait sentirde l’introduction lourde de forceps de Maui aux séquences d’exposition maladroites. Tout est porté par un sentiment d’urgence, qui pousse la progression vers le prochain bloc d’aventures, relié aux autres pour tenter de former un tout homogène.
En soi, cette approche restrictive aurait pu servir l’écriture ô combien mythologique du diptyque, un peu à l’image des obstacles qui se dressent sur le chemin d’Ulysse dans L’Odyssée. Le premier Moana a été volontairement épuré, emporté par la page blanche (enfin bleue) de cet océan sur laquelle s’écrivait le voyage du personnage.
De cette toile ouvertement campbellienne, Clements et Musker connaissaient les passages obligatoires du voyage héroïqueet en tirait une émotion qui ne cherchait pas à éluder leur évidence. Au contraire, les réalisateurs en ont tiré une universalité et un sens de l’épopée lié à la peur profonde de Vaiana de perdre ses proches, son monde, et de se perdre au fil de son voyage.
Malheureusement, sa suite semble gênée par ce parti pris, sans parvenir à s’en défaire. Sans quelques méta-blagues plus présentes, le film de David G. Derrick Jr., Jason Hand, Dana Ledoux Miller noue ses nœuds dramatiques comme un caissier de supermarché scannerait des codes-barres. Il suffit de regarder la fin du deuxième acte pour s’en convaincre, où la traditionnelle défaite temporaire des héros se résout dans une courte chanson motivante.
D’un point de vue musical, Moana 2 manque d’inspirationsans doute à cause de l’absence notable de Lin-Manuel Miranda côté composition. Sans vouloir s’en prendre aux différents responsables créatifs de ce deuxième opus bâclé, force est de constater qu’il souffre d’un moindre savoir-faire, que l’on attend d’une série cheap pour Disney+.
Sauf que le long-métrage, en plus de sortir en salles, possède un univers dont le gigantisme et la sublimité appelait à une expansion spectaculaire. Nous pouvons toujours nous contenter de notre meilleure idée (un bénitier géant qui ressemble à un Old One lovecraftien), mais tout semble plus serrérefermé sur lui-même, ses références et les réalisations de la partie précédente. Le poulet Hei Hei reste peut-être l’une des créations burlesques les plus drôles de Disney ces dernières années, mais il ne peut à lui seul sauver une suite en pilote automatique. Drôle d’ironie pour une œuvre qui incite son héroïne à se perdre pour voir le chemin autrement.