Divertissement

critique du conte désenchanté de Michel Hazanavicius

Nuit, brouillard et forêt

Avec les lignes noires qui marquent le contour des visages, des corps et des objets, le style visuel de Le bien le plus précieux affirme l’importance de la ligne. Dans la forêt polonaise où se déroule le film, la pureté des arbres et des clairières enneigées est parasitée par les voies ferrées, et par les trains qui y transportent de nombreux innocents vers la mort.

Cette façon de zébrer l’image, de la marquer des cicatrices de l’Histoiresemble logique pour un récit hanté par la question de la représentation des camps d’extermination. Le cinéma n’a pas réussi à documenter l’horreur de l’Holocauste dans son présent. Comment a-t-il pu le faire avec le recul ? Cette question, toujours brûlante, interroge l’éthique d’un tel tournage. Les préceptes de Claude Lanzmann (absence des artifices de mise en scène et des images d’archives, témoignages directs, etc.) se confrontent plus que jamais à la nécessité d’une reconstruction fictionnelle, à l’heure où disparaissent les derniers survivants de la Shoah.

Une technique somptueuse

S’il ne s’attaque jamais à un appareil aussi puissant que celui de La zone d’intérêtMichel Hazanavicius trouve néanmoins un carrefour idéal avec le livre de Jean-Claude Grumberg. L’animation crée de facto une distance par rapport au plan réel, et le réalisateur en profite pour développer un style faussement brut, finalement axé sur la beauté enivrante d’une nature salvatrice, cette base des « justes » que présente le film face à la guerre. et sa cruauté.

Ces « justes », c’est ce couple de bûcherons qui recueillent un bébé jeté d’un train, peu ou prou inconscients du génocide qui se déroule non loin de chez eux. De ce postulat, Jean-Claude Grumberg a tiré un conte sur la survie de la bonté humaine, sur la lumière au cœur des ténèbres. Pour commencer, Michel Hazanavicius déploie son sens de la périphrase avec finesse. Les Juifs sont qualifiés de « sans cœur », les nazis ne sont pas nommés, et le lourd caractère hors-champ des camps se fait sentir.

Merveilleux doublage de Grégory Gadebois

Abjection?

Il est surprenant dans ces moments-là que la présence du directeur deOSS117 prend tout son sens. Pour celui qui s’est fait connaître par la qualité de ses pastiches et pour La grande diversion, Le bien le plus précieux réalise également un détournement : celui du conteses codes et métaphores qui réinventent pour les enfants l’horreur du réel. Même si l’on pourrait penser que le film est complaisant avec ses éléments suggestifs, le « Il était une fois » L’introduction fait référence à une Histoire trop difficile pour que nous puissions la croire vraie, trop difficile pour que nous y fassions face.

La sublime voix off de Jean-Louis Trintignant (dans son dernier rôle) dégage une magnifique gravité, mais aussi une fragilité à travers son ton chevrotant, comme si ce témoignage du narrateur était voué à disparaître, voire à être englouti par le négationnisme. Si cette forêt faussement Disney finit par être dépassée par la réalité de la Shoah, Hazanavicius est aussi conscient que son film est forcément dépassé par le présent. A partir de là, le cinéaste choisit de ne plus jouer à cache-cache et opère une transition nette, tandis qu’une séquence suit un oiseau jusqu’à Auschwitz.

La suggestion… et ensuite ?

Il s’agit encore une fois d’une ligne, de cette limite du représentable matérialisée par un fil de fer barbelé. Contre toute attente, le réalisateur la franchit, teste une limite. L’animation, jusqu’ici composée de symboles et de synecdoques, montre en plein format les corps émaciés des prisonniers. On sent le film sur une corde raide, sans tomber dans l’obscénité souvent critiquée dans d’autres tentatives similaires.

Cela est sans doute dû au fait que Le bien le plus précieux questionne par son approche narrative et technique une évolution nécessaire dans la représentation d’une partie de l’Histoire qui perd aujourd’hui ses témoignages directs, ceux qui ont fait du documentaire une forme privilégiée. Pour être franc, Hazanavicius n’évite pas certaines erreurs de goûtà commencer par la musique pleureuse et omniprésente d’Alexandre Desplat.

Difficile cependant de douter de sa bonne foi, de sa volonté de remettre en cause son système sans pour autant le rejeter. Après tout, cette trajectoire vers l’explication de l’horreur peut se priver au fur et à mesure du dialogue, jusqu’à un final absolument dévastateur, où la notion de réflexion nous oblige à regarder, droit dans les yeux, ce que fut la Shoah.

Malagigi Boutot

A final year student studying sports and local and world sports news and a good supporter of all sports and Olympic activities and events.
Bouton retour en haut de la page