Critique de The Crow : Dark Sasuke
Vincent doit mourir
« Je sais que c’est grotesque d’être gothique quand je fais la queue à Prisunic » chantaient les Fatals Picards. Voilà une bonne façon de résumer ce remake, bien que décrit par son réalisateur comme « un film indépendant dur » Dans Empire.
Un coup marketing de haut vol : distribué par Lionsgate, Le corbeau Est un produit hollywoodien très archétypalessayant de se donner l’air d’un film B torturé avec des éclaboussures de sang digitales, des regards sombres et des missionnaires prudes sous ecstasy.
L’histoire reste globalement la même : Eric Draven et sa petite amie Shelly Webster sont sauvagement assassinés. Eric obtient le droit de revenir d’entre les morts sous la forme de l’immortel The Crow, afin de se venger de ses agresseurs. La différence est qu’ici l’histoire se concentre davantage sur Shelly et la relation entre les amants maudits.Plutôt que de commencer par l’élément perturbateur, le film décortique leur histoire d’amour troublée à l’avance, de sorte que l’agression en question arrive très tard.
Une autre variante : il s’agit d’une sorte de dérivé du Skull Cowboy de la bande dessinée (coupé au montage du film d’Alex Proyas)Kronos, qui récite l’exposé dans un décor industriel particulièrement fade. Surtout, il énonce la nouvelle règle : Eric est en effet chargé d’écorcher son meurtrier Vincent Roeg, un homme cruel qui se nourrit d’âmes joué par l’industriel éternellement corrompu Danny Huston. S’il réussit, il pourra ressusciter sa petite amieauparavant perdu à jamais.
Corbeau mignon
Un changement visant visiblement à atténuer un peu la noirceur du premier. Le corbeau pour un public plus contemporain, mais qui témoigne d’une réelle volonté de se réapproprier le personnage. Dans sa version très, très bancale Fantôme dans la coquilleRupert Sanders tentait déjà de s’éloigner un peu de son modèle, en faisant ironiquement du Major de Scarlett Johansson un robot générique en quête d’identité. Ici, quitte à atténuer la brutalité tragique du film de 1994, ça transforme un peu le thème général de l’intrigue.
Il n’est plus question de deuil, sujet qui avait fait la force à la fois de la bande dessinée et du premier long métrage, tous deux hantés par une mort réelle (celle de la petite amie d’O’Barr, qui l’a inspiré, et celle de Brandon Lee), mais d’amour. Le défi pour Eric n’est plus d’absorber la douleur d’une absence, mais de montrer à quel point il peut souffrir pour un retour. Intéressante sur le papier, cette modification menaçait pourtant de tourner à la niaiserie romantique. Et elle n’a pas failli.
Envoyée en quelques dizaines de minutes, la rencontre entre les deux tourtereaux est une suite de clichés tirés des pires fanfictions de Wattpad. Et ça ne s’arrange pas une fois qu’ils sont décédés, avec ces visions pseudo-oniriques ridicules. Dans ce remake qui veut mettre la tragédie romantique au cœur de l’intrigue, Leur relation est en fait conçue pour se dérouler dans un montage musical elliptique.comme un long clip… ou même une publicité pour n’importe quelle marque de parfum.
R a échoué
Car c’est la plus grande concession faite au modèle hollywoodien à laquelle la promotion prétend échapper. L’histoire tragique de Le Crow est étroitement lié à une identité esthétique prononcéedonnant toute sa puissance à une mythologie hautement symbolique. Une nécessité qu’Alex Proyas avait parfaitement comprise lorsqu’il enchaînait les prises de vues déchaînées dans son enfer urbain, tantôt gothique, tantôt carrément expressionniste (expérimentations visuelles qu’il poursuivra dans La ville sombre).
Bien sûr, personne ne s’attendait à ce que Sanders copie allègrement la version de 1994. Il n’en demeure pas moins que son alternative est tout sauf unique.Ce regard, il en veut plus « ancré dans la réalité » (rires) est en réalité très artificiel, mais beaucoup moins évocateur. En réalité, comme beaucoup de ses petits frères, il compte sur quelques scènes pour s’acheter une réputation de mauvais garçon, et notamment sur une séquence de carnage assez caractéristique de post-violenceDead Poolplus caricatural que désespéré.
Quelqu’un peut-il informer les cinéastes américains que le fait d’être classé R ne rend pas un film plus mature ou plus sombre que la moyenne. Car malgré son côté sanglant et son antihéros tatoué, Le corbeau échoue lamentablement là où il était destiné à échouer depuis plus d’une décennie : en moyenne.