Critique d’Astérix et Obélix : L’Empire du Milieu (Film, 2023)

CRITIQUE / AVIS FILM – Malheureusement, l’accident industriel tant redouté avec « Astérix et Obélix : L’Empire du Milieu » s’est produit. Cet accident prend la forme d’un cauchemar où rien ne réussit, et où ses auteurs ont choisi de tenter de rassembler le public un humour cru ainsi qu’un défilé paresseux et insensé de « stars ». Il existe néanmoins un tour de magie intéressant : faire disparaître 65 millions d’euros en un claquement de doigts.
Avez-vous eu peur du résultat ? Vous serez terrifié
Ecrit d’un pied, tourné de l’autre et monté avec ce qui reste, on se demande ce que Guillaume Canet a fait de ses mains sur ce Astérix et Obélix : L’Empire du Milieu. Cependant, même si l’inconstance est devenue un trait propre à sa filmographie, on ne peut priver le réalisateur d’un certain talent, souvent révélé dans sa capacité à s’aventurer hors de sa zone de confort.
À ce titre, il y avait aussi quelque chose d’enivrant et d’émouvant dans la démence qu’il a infusé dans son sous-estimé rock n Roll. Mais ici, pour cette super-production sur un monument culturel de renommée mondiale, pas de folie, de personnalité, ni de décalage. Plutôt un simple geste, un coup de pied pour ouvrir grand les portes d’un néant du cinéma.
Dans Astérix et Obélix : L’Empire du Milieuon découvre nos deux Gaulois préférés sur un chemin forestier où, passé cet étrange choix de faire une dissertation un Astérix déprimé sur le véganisme, on retrouve un cadre familier. Après une brève exposition des célèbres habitants du village qui résistent encore et toujours à l’envahisseur, un nouveau personnage arrive, une pâle copie du Numérobis de Jamel Debbouze dans Astérix et Obélix : Mission CléopâtreGraindemais (Jonathan Cohen).
Ce dernier, fuyant la Chine, qu’il a quittée avec la fille de l’impératrice, la princesse Fu Yi (Julie Chen) accompagnée de son garde du corps Tat Han (Leanna Chea), demande à Astérix et Obélix de partir avec eux pour sauver l’Impératrice et mettre fin au coup d’État initié par le criminel Deng Tsin Quin (Bun-hay Mean) et son conseiller rire qui qui (Manu Payet). S’en suivent des aventures sans queue ni tête, querelles puériles entre Astérix, Obélix et Graindemaïs, entrecoupés de camées qui tombent systématiquement à plat.
Une caractérisation discutable des personnages
Avant Astérix et Obélix : L’Empire du Milieu, quinze films ont été produits sur les aventures des célèbres Gaulois. Dix films d’animation et cinq films d’action réelle. Tous sont adaptés d’une ou plusieurs bandes dessinées – à l’exception de l’anime 3D Astérix : Le secret de la potion magique. C’est donc une première pour un long métrage en prise de vue réelle, puisque le film de Guillaume Canet est aussi une création originale. La structure actuelle de la narration est donc évacuée, au profit d’une succession désincarnée de croquis humoristique au mieux grossier, au pire sexiste et raciste.

En effet, Graindemaïs et son oncle Épidemaïs (Ramzy Bedia), commerçants phéniciens installés en Chine, portent des perruques blondes afin de se faire passer à tout prix pour des « authentiques » Gaulois auprès de la clientèle chinoise fortunée. Clientèle qui, on le sait bien, « adore » les manières et la finesse de la culture française… Les caractères chinois sont ainsi développés dans les clichés, en particulier ceux qui aimeraient que la communauté asiatique soit de petite taille, humble, concentrée, peu loquace et dure avec le mal. Bien sûr, ces personnages connaissent les arts martiaux. Mais, entre autres approximations, la référence faite à Karate Kid indique que les auteurs du film n’ont pas vraiment fait dans les détails de ces cultures…
Narration et mise en scène ratées
A cette caractérisation très paresseuse et maladroite des personnages répond donc le principal problème de la narration, une succession de croquis avec des personnalités essentiellement médiatiques, décorrélées les unes des autres et sans aucun impact sur le développement de l’intrigue.
À côté de la nullité quasi pénale écriture et dialogues, ce problème de mécanique narrative donne l’impression de planer et s’exprime aussi dans une mise en scène ratée, où il n’y a pas de parcours physique. De la Gaule à la Chine, les extérieurs sont les mêmes, à l’intérieur les plans sont serrés sur des personnages qui évoluent dans des décors de studio sans interagir avec eux. Il y a ainsi pas de profondeur – de l’écriture comme du tournage – de tout le film, une absence rendue d’autant plus visible par un montage frénétique et séquences dynamiques illisibles dès qu’ils ne sont pas pauvres.

Les effets spéciaux sont laids et poussifs, avec notamment une démonstration catastrophique et gênante d’art martial, et l’utilisation de perspectives forcées pour représenter la différence de taille entre Astérix et Obélix est aussi abusif qu’artificiel. Parce qu’au sommet de la longue liste d’erreursAstérix et Obélix : L’Empire du Milieuil y a un vrai problème de casting.
Un casting fou
Dans ce film, des acteurs de renom côtoient des stars de la pop culture. Il y a donc, outre des personnalités comme Guillaume Canet, Vincent Cassel, Jonathan Cohen et Marion Cotillard, Gilles Lellouche ou encore Pierre Richard, des célébrités comme Big Flo et Oli, Angèle, McFly et Carlito, Zlatan Ibrahimovic, Mathieu Chedid, etc. Pourquoi sont-ils là ? Même s’ils n’ont que quelques secondes pour apparaître, leur manque de talent pour le cinéma est criant. Mais pourquoi les blâmer, puisque ce n’est pas leur travail ?
Pourtant, selon les dires de Guillaume Canet lui-même, certaines recrues ont été mûrement réfléchies, comme celle de Bigflo et Oli, par exemple : «Quand j’ai discuté avec Ramzy pour le personnage d’Epidemaïs, Bigflo et Oli étaient avec lui. Nous avons pris un verre à Pigalle, je ne les connaissais pas personnellement mais j’ai tout de suite adoré leur énergie et j’ai pensé à eux pour jouer les vendeurs de Ramzy !“. Ou encore, le casting du chanteur Apple : «Pour Apple, (à qui j’ai demandé d’interpréter la chanson en chinois du film), je l’ai vue chanter un titre en japonais sur Instagram pour Konbini et sa voix m’a bluffé…« .
Quoi qu’il en soit, voici comment résumer en quelques mots toute l’intention, les problèmes et l’hypocrisie deAstérix et Obélix : L’Empire du Milieu. Ennuyeux dites-vous ? le mot est faible.
acteurs sans direction
Du côté des comédiens professionnels, Marion Cotillard incarne une Cléopâtre dépeinte comme hystérique et infidèle, Gilles Lellouche tente de reproduire les maniérismes et les intonations de Gérard Depardieu sans y parvenir, Jonathan Cohen puise dans le personnage comique passe-partout qui a été créé avec Serge le mythoJosé Garcia joue une caricature efféminée à l’accent odieux, Pierre Richard fait une figuration poussée…
Dans ce casting où tout fonctionne à l’envers, c’est finalement Vincent Cassel qui fait le mieux, donnant à son personnage une nonchalance sans doute proche de celle avec laquelle l’acteur a abordé sa tâche. Il semble être le seul à s’amuser, et joue sur un registre vulgaire qui ne détonne pas dans l’ensemble.

Guillaume Canet ne semble pas savoir quoi faire de son personnage d’Astérix, qu’il a choisi de montrer miné, renfermé, mal à l’aise. L’un des problèmes du duo formé avec Obélix, au-delà de son cadrage raté, est que les deux Gaulois ont le même enjeu : ils sont tous les deux amoureux. Dès l’arrivée de Fu Yi et de son garde du corps Tat Han, Obélix rougit pour le second et les nageoires du casque d’Astérix frémissent pour le premier. D’une certaine manière, les deux héros veulent simplement s’en tirer et se retrouver stupides quand ils doivent leur parler. Ce spectacle de héros figés, un récurrence pourtant dans leurs aventures, ici n’est ni drôle ni touchant, mais plutôt traduit un malaise.
La faute sans doute à des personnages si peu développés et si caricaturaux que cette histoire de sentiments arrive comme un cheveu sur la fameuse potion magique.
« Guillaume, rends l’argent ! »
Certes, le film d’Alain Chabat est un sommet inaccessible, Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre frôlant la perfection. Mais à y regarder de plus près, la majorité de la filmographie adaptée des aventures d’Astérix et Obélix est d’un bien habillési le Astérix et Obélix contre Césarles deux adaptations 3D d’Alexandre Astier et Louis Clichy, les dessins animés de 1968 et 1986 – pour ne citer que ces deux-là -… Leur humour, leur inventivité, leur affection pour l’oeuvre originale de ces adaptations ne constituent pas une compétition mais plutôt une long coup groupé, avec le même double objectif : faire hommage à la grande création de Goscinny et Uderzo, et pour célébrer l’amour et le respect du public envers lui.
Visiblement à contre-courant de cette intention, Guillaume Canet a pourtant réitéré la recette de la tentative la moins aboutie de cet ensemble, à savoir Astérix et les Jeux Olympiques. Alors que Laurent Tirard avait montré la voie d’une première reprise avec Astérix et Obélix : Au service de Sa Majesté…

Si Astérix et Obélix : L’Empire du Milieu provoque un vif tollé chez les Arvernes, c’est parce que nul ne peut ignorer l’excès de son budget. En effet, il a été brandi comme un argument de vente, qui s’est transformé en publicité mensongère. Où est passé l’argent ? Dans les cachets des camées « prestigieux » ? La question n’est pas rhétorique : où est l’argent ? La pauvreté des décors, la pauvreté des effets spéciaux, la misère du décor, la rapidité avec laquelle les acteurs apparaissent et disparaissent, laissant entendre que beaucoup n’étaient là que dans l’urgence… Les mystères du financement des films sont certes obscurs, mais il y a une limite à l’incompréhension quand 65 millions d’euros sont en jeu.
De l’erreur au manque de respect
Cette aberration très coûteuse, dont seul un sentiment de course à la laideur, pourrait bien être un échec retentissant. S’il ne s’en dégageait pas, pour achever l’ouvrage, une odeur de mépris. Pourquoi, de tous les réalisateurs du cinéma français, est-ce Guillaume Canet qui était aux commandes ? Pourquoi un tel projet n’a-t-il pas été dirigé par Michel Hazanavicius, qui sait gérer l’envergure d’un blockbuster ? Encore une fois, ne voudrions-nous pas voir le traitement que quelqu’un comme Noémie Lvovsky pourrait offrir ? Pourquoi Bruno Podalydès, avec son frère dans le rôle d’Astérix, ne s’y essaierait-il pas ? Ou encore, Olivier Marchal, juste pour faire une heure de combat pour une autre de banquet ? Au point où il faudra repartir après la marque établie par Canet, on pourra tout envisager.
On ne rigole pas pendant Astérix et Obélix : L’Empire du Milieu, sinon gêne. Nous ne sommes pas émus d’une manière heureuse, nous sommes plutôt émus par impolitesse avec lequel « l’humour » du film joue sur mécanismes datés et représentations déroutantes de ses personnages. Pas de voyage, pas de découverte, on n’est jamais surpris et rien ne reste en mémoire. Sauf le sentiment d’avoir complètement perdu votre temps, doublé du sentiment plus ennuyeux de douter de savoir si vous venez d’être insulté.
Astérix et Obélix de Guillaume Canet, en salles le 1 février 2023. Au dessus de la remorque. Retrouvez toutes nos remorques ici.