Dans « Nuked », paru le 2 juillet, le journaliste australien Andrew Fowler révèle les raisons profondes de la rupture du « contrat du siècle » avec la France. En 2021, le gouvernement australien a annulé brutalement la commande de douze sous-marins du Naval Group pour un montant de 35 milliards d’euros.
C’était le « contrat du siècle »… L’annulation par l’Australie du contrat d’acquisition de douze sous-marins construits par Naval Group pour un montant de 35 milliards d’euros, a donné lieu en 2021 à une crise diplomatique avec la France, qui parlait alors de « trahison ». Dans son livre d’enquête « Nuked » paru le 2 juillet, le journaliste d’investigation australien Andrew Fowler revient sur cette affaire et met en lumière les manœuvres entre les Américains, les Britanniques et les Australiens pour tromper la France, avant de révéler leur alliance pour contenir la Chine, l’Aukus, en 2021. Ces jours-ci, l’alliance fait à nouveau la une des journaux depuis que l’Australie a annoncé avoir signé un accord autorisant l’échange d’informations et d’équipements dans le domaine de la propulsion nucléaire navale avec les États-Unis et le Royaume-Uni.
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Ancien correspondant à l’étranger, Andrew Fowler est spécialisé dans l’investigation politique. Dans une interview exclusive à La Dépêche du Midi, il révèle les dessous d’une affaire qui a « brisé la relation de confiance » entre la France et l’Australie, comme l’avait confié Emmanuel Macron.
Qu’est-ce qui vous a poussé à enquêter sur cette affaire ?
Ce qui m’a convaincu d’écrire ce livre, c’est l’extraordinaire abus de pouvoir exécutif commis par le Premier ministre libéral de l’époque, Scott Morrison. Il a menti sur l’accord avec la France, puis a présenté l’accord d’Aukus (avec les États-Unis et le Royaume-Uni) au parti travailliste de l’opposition comme nécessaire à la sécurité nationale. Si le parti travailliste n’acceptait pas l’accord, il serait considéré comme faible en matière de sécurité nationale ou anti-américain. Ce qui est politiquement un baiser de la mort en Australie.
Cette affaire est-elle également la preuve du lien indissoluble qui existe entre les États-Unis et l’Australie ? Quelle est la nature de ce lien ?
Sur le plan diplomatique, le syndrome de la « peur de l’abandon » est historique en Australie. Nous nous sommes d’abord accrochés aux Britanniques et maintenant aux Etats-Unis. Mais cette affaire souligne sans équivoque qu’il existe une lutte entre ceux qui veulent l’indépendance australienne et ceux qui cherchent à dépendre d’un allié puissant. Or le déclin de l’influence américaine en Asie devrait pousser l’Australie à s’émanciper.
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Qu’avez-vous découvert en faisant des recherches pour ce livre ?
La décision d’abandonner le contrat sur les sous-marins français a été motivée par la volonté du gouvernement de Scott Morrison de renforcer ses liens avec les États-Unis. Le chef des services de renseignements australiens, Andrew Shearer, avait déclaré avant l’accord avec Paris que la France ne partageait pas les mêmes intérêts stratégiques. Il a été l’un des principaux interlocuteurs des États-Unis lors des négociations sur le contrat sur les sous-marins nucléaires avec Aukus. En fait, Washington craignait que les Français aient une vision indépendante de la manière de traiter avec la Chine. Les Américains voulaient que l’Australie suive leur plan pour contenir Pékin. Selon eux, les sous-marins français auraient donné à l’Australie une plus grande autonomie, ce que Washington ne souhaitait pas.
Tout s’est accéléré lorsque Scott Morrison est devenu Premier ministre, pourquoi ?
L’accord avec la France a été conclu en 2016. Le Premier ministre libéral de l’époque, Malcolm Turnbull, était un homme politique modéré qui croyait fermement à l’indépendance de l’Australie. Mais lorsque Scott Morrison, entouré et conseillé par des idéologues de droite pro-américains, lui a succédé, il a tout fait pour saper l’accord avec Paris. Scott Morrison, comme tous les dirigeants du Parti libéral avant lui pendant 80 ans, était convaincu que la sécurité de l’Australie dépendait nécessairement d’une alliance étroite avec les États-Unis.
Comment l’Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni ont-ils manœuvré pour tromper la France sur cet accord ?
L’Australie a menti à plusieurs reprises sur les dépassements de coûts et les retards qui auraient affecté le sous-marin français. Les États-Unis ont affirmé qu’ils n’avaient commis aucune tromperie, même si Joe Biden a déclaré que le dossier avait été maladroitement géré. Mais le fait est que lors de plusieurs réunions entre de hauts responsables américains et le gouvernement français, ces derniers ont souligné à plusieurs reprises l’importance de l’accord. Des réunions au cours desquelles les Américains sont restés silencieux, selon l’ambassadeur de France aux États-Unis de l’époque, Philippe Etienne.
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Comme je l’écris dans le livre, les Français pensaient pouvoir faire confiance aux Américains et leur disaient que l’affaire des sous-marins était « un élément essentiel de leur présence stratégique dans l’Indopacifique ». L’importance de cet accord a été répétée à plusieurs reprises et les Américains n’ont jamais rien dit, « ils en ont pris note », comme le confie Philippe Etienne. Certaines de ces rencontres ont réuni le secrétaire d’État Anthony Blinken et le ministre français des Affaires étrangères de l’époque, Jean-Yves Le Drian. La ministre française de la Défense de l’époque, Florence Parly, a également rencontré son homologue Lloyd Austin au Pentagone, où il a été question de la coopération entre la France et les États-Unis dans l’Indopacifique. Mais à aucun moment les Américains n’ont évoqué leurs discussions avec l’Australie lors de ces rencontres.
Qui est David Gould et pourquoi son témoignage est-il si important ?
David Gould est un ancien sous-secrétaire d’État à la Défense britannique. En 2012, il a été engagé par le gouvernement australien comme consultant pour travailler au remplacement des sous-marins australiens vieillissants. Il a révélé pour la première fois ce que l’on soupçonnait depuis longtemps : l’une des conditions les plus importantes pour utiliser des sous-marins australiens est de travailler avec les Américains en mer de Chine méridionale. Et pas nécessairement pour défendre l’Australie.
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Que s’est-il passé ensuite en Australie ?
Le contrat des sous-marins américains, si on peut appeler cela un contrat, est un désastre de 368 milliards de dollars. Rien ne garantit que les États-Unis fourniront à l’Australie les trois sous-marins de classe Virginia qui doivent servir de passerelle avant que la classe Attack britannique ne devienne opérationnelle dans les années 2040. Un autre problème est que les carnets de commandes de l’industrie navale américaine sont déjà pleins, ce qui risque d’avoir des répercussions sur le contrat. En Australie, la publication du livre a relancé le débat sur cette question, tant au parlement que dans les médias, sur la manière de gérer cette crise. Elle n’est pas encore résolue.