Crise au Pakistan : comment le cricket est-il tombé si bas ?
Mélange des genres, favoritisme et sièges éjectables. Au Pakistan, des travées du Parlement à la presse ou sur les réseaux sociaux, une seule question se pose : comment le cricket, sport roi, a-t-il pu tomber aussi bas ?
C’est la récente défaite contre le Bangladesh, classé bien plus bas au monde, qui a tout précipité.
« Ce n’est pas une défaite, c’est une annihilation », a déclaré un sénateur après la déroute qui a vu le Pakistan tomber à la 8e place.et Le pays est en tête du classement mondial, son pire classement depuis près de 60 ans. « Nous sommes une nation sous le choc, tout le pays veut la démission de Mohsin Naqvi », a-t-il ajouté.
Mohsin Naqvi est probablement celui qui incarne le mieux le mélange des genres au Pakistan actuel : à la tête du Pakistan Cricket Board, il est aussi… ministre de l’Intérieur.
Fin août, par exemple, peu après des attentats meurtriers qui ont choqué le pays, il a tenu une conférence de presse.
Et il a proposé de commenter la réponse sécuritaire contre les rebelles qui ont mené les attaques, et les derniers résultats de l’équipe nationale de cricket.
« Chaos et instabilité »
Mais de moins en moins de Pakistanais semblent prêts à accepter ce double rôle : récemment, un proche du Premier ministre déclarait à la télévision que M. Naqvi « devait choisir » entre ces « deux emplois à plein temps ».
Car au Pakistan, où le cricket est roi et les contrats publicitaires lucratifs, les résultats internationaux sont scrutés à la loupe et tout déclin de l’équipe nationale est une plaie à vif. Et aujourd’hui, la question du népotisme et du clientélisme est ouvertement posée.
En deux ans, l’équipe nationale a connu quatre entraîneurs, trois patrons de fédération et trois capitaines, rappelle Ahsan Iftikhar Nagi, journaliste sportif et ancien chargé de communication de la fédération.
« Quand il y a du chaos et de l’instabilité au sein du pouvoir, cela se ressent sur le terrain », a-t-il déclaré à l’AFP.
Depuis sa cellule de prison, un autre adepte du cocktail sport-politique martèle : « Ce qui détruit les nations, c’est quand des gens corrompus et incompétents occupent des postes de pouvoir », écrit Imran Khan.
Le capitaine qui a remporté la Coupe du monde de cricket pakistanaise en 1992, une star mondiale adorée par les fans en Europe ainsi qu’en Asie et en Océanie, est rentré au pays pour devenir Premier ministre en 2018.
Au terme d’une campagne où il avait notamment promis de lutter contre la corruption, il a fini par l’emporter, avec l’aide secrète de la puissante armée, selon les experts.
Il choisit immédiatement un nouveau patron pour le cricket et commença à intervenir fréquemment dans la gestion du championnat national.
« Objectifs personnels »
Désormais chassé du pouvoir et emprisonné pour diverses affaires, il juge M. Naqvi avec sévérité.
« On impose des gens parce qu’ils sont dans les bonnes grâces pour gérer un sport technique. Quelles sont les qualités de Mohsin Naqvi ? », s’interroge-t-il, accusant l’homme d’avoir « anéanti » l’équipe nationale.
Najam Sethi, un journaliste nommé trois fois président du Pakistan Cricket Board et deux fois ministre, remet également en question ces nominations.
« Des généraux, des juges, des bureaucrates ont été nommés parce qu’ils aimaient le cricket, pas parce qu’ils le comprenaient », a-t-il déclaré à l’AFP. « Ou des joueurs qui connaissaient bien le cricket mais n’avaient aucune expérience de gestion. »
La presse, habituellement prompte à tout pour ne pas démoraliser les troupes, est récemment devenue beaucoup plus dure.
«Depuis 1998», écrit leTribune Expressdes favoris de différents régimes se sont succédés à la tête de la fédération pour gérer le cricket chacun de manière maladroite, et ils l’ont écrasé. »
« Ils sont trop occupés à poursuivre leurs objectifs personnels, qui sont de sauver leur peau ou leur mandat, ou de gagner beaucoup d’argent au détriment du cricket », accuse encore le quotidien.
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