Les nouvelles les plus importantes de la journée

« Cozy fantasy », ces livres où les orcs font des cafés au lait et les elfes consultent un psy

Tout un pan de la littérature fantastique délaisse les guerres fratricides pour ouvrir de petites entreprises et chercher le sens de la vie. Baptisée « cosy fantasy », elle a pour héraut l’auteur texan Travis Baldree.

Extrait de « Soso no frieren », tome 1, de Kanehito Yamada et Tsukasa Abe.

Extrait de « Soso no frieren », tome 1, de Kanehito Yamada et Tsukasa Abe. Éd. Shogakukan

Par Amandine Meunier

Publié le 5 août 2024 à 17h00

CONTREest une lecture qui sent bon la brioche à la cannelle et le chocolat chaud. Avec elle, vous pourriez être assis dans n’importe quel café branché avec de vieux fauteuils en velours et une musique électro grinçante en fond sonore. Sauf que votre pâtisserie a été préparée par un homme-rat et votre boisson par un orc, un humanoïde à l’apparence souvent inquiétante.

Avec ce synopsis – Viv, une ancienne mercenaire de 2 mètres de haut, peau verte et dents de lapin, dépose les armes pour ouvrir un café –, Légendes et Lattes est devenu un petit phénomène éditorial outre-Atlantique. Ce premier roman auto-édité a été repéré par l’éditeur spécialisé Tor Books et s’est glissé dans la liste des best-sellers du New York TimesEn France, il vient d’être réédité pour la troisième fois par les éditions Ynnis. Booktok, Booktube et Boostagram, qui ont porté son succès, le considèrent comme l’instigateur de la « cosy fantasy ».

Le genre repose sur le décalage entre les univers fantastiques typiques des grandes aventures et les histoires du quotidien pour un retour à soi avec un soupçon de magie et un dépaysement sans stress. « La fantasy cosy consiste à utiliser la fantaisie pour parler de problèmes à un niveau personnel. Tout cela se fait d’une manière qui vous donne le sentiment d’être en confiance, que tout va bien. Cela vous donne l’impression que tout ira bien à la fin. » explique Travis Baldree, l’auteur de Légendes et Lattes.

Familles de cœur et pouvoirs magiques

Fantaisie se sentir bien Bref. Imaginez… Frodon ne se rend pas au Mordor pour détruire l’anneau, mais devient le bibliothécaire de la Comté ; Harry Potter se contente de vivre ses problèmes d’adolescent à Poudlard sans se soucier de Voldemort ; les Stark, les Lannister et les Targaryen démantèlent le Trône de Fer et fondent une agence de voyages spécialisée dans les vacances au-delà du Mur sur le dos d’un dragon…

« Nous avions un mouvement de dark fantasy dont le chef-d’œuvre est peut-être Game of Thronesmais il y en a d’autres. Et inévitablement, à un moment donné, il y en a beaucoup, trop, et c’est son contraire qui se développe. De plus, au moment où Travis publie Légendes et Lattesnous sommes en période de Covid, les gens veulent quelque chose de plus relaxant”, déclare Cédric Littardi, président des éditions Ynnis.

« Ce genre existait bien avant mon livre, précise l’auteur texan. La plupart des œuvres de Terry Pratchett sont de la fantasy cosy, avec des personnages et des problèmes de la vie quotidienne. Il ne s’agit pas de vaincre le roi démon, de tuer un dragon ou de faire la guerre. Il s’agit d’un escroc qui dirige un bureau de poste ou de ce que c’est que de mourir, de ce que signifie la mort. Il s’agit de sujets humains. Le Château ambulant de Diana Wynne Jones, c’est aussi de la fantasy douillette. Le Hobbit. C’est l’histoire de quelqu’un qui préfère rester dans sa jolie petite maison et le dragon meurt hors écran !

Ces classiques font également leur retour dans les recommandations que les fans du style « cosy » partagent sur les réseaux sociaux. Mais ils citent surtout ses nouvelles têtes d’affiche, comme La maison au milieu de la mer céruléenne, par TJ Klune (un travailleur social dirige un orphelinat avec des résidents aussi spéciaux qu’attachants), La Société très secrète des sorcières extraordinaires, de Sangu Mandanna (une sorcière solitaire trouve sa place dans le monde en devenant tutrice), ou le manga Frères, de Kanehito Yamada (une fois le roi démon vaincu, une elfe à l’espérance de vie de plusieurs milliers d’années voit ses compagnons d’armes vieillir et mourir, et regrette de ne pas avoir appris à mieux les connaître). Ils partagent tous la même formule. Pour être « cosy », il faut des décors enchanteurs, des familles de cœur, des pouvoirs magiques, beaucoup de descriptions de nourriture et surtout beaucoup d’introspection.

Apprécier la beauté éphémère des choses

« Dans les mangas, c’est typique des iyashikei, un sous-genre consacré aux histoires qui « guérissent l’âme ». Il a commencé à émerger au Japon il y a quinze ans comme un miroir de tous les mangas de jeux de massacre, de tous les shônen nihilistes », explique Ahmed Agne, co-fondateur de Ki-oon, qui publie Friers. Lauréat de plusieurs prix et vendu à plusieurs millions d’exemplaires au Japon (600 000 exemplaires en France), Friers envoie son héroïne dans une quête longue et potentiellement complexe dès les premiers chapitres. Rien de moins que d’aller au bout du monde pour trouver la porte du paradis. Mais ce sont les détours qu’elle emprunte qui font le piment de son aventure. Non pas parce qu’ils ralentissent le rythme ou entretiennent le suspense, mais parce que ces accroches constituent le sens même de la quête : apprendre à profiter de l’instant présent. « Cela se rapproche du concept japonais de « mono no awareness », ou comment apprécier la beauté éphémère des choses. C’est apprendre à regarder les feuilles tomber en automne », explique Ahmed Agne.

Et certains titres poussent le non-aventure très loin. Hakumei et Mikochi, les petites héroïnes du manga Minuscule, de Takuto Kashiki (douze tomes, publiés en France chez Komikku), cuisiner un ragoût, passer la nuit à la belle étoile, aller chez le coiffeur… Rien de plus. Suivre leurs aventures, c’est un peu comme espionner son voisin par la fenêtre, moins illégal mais plus mignon. Et tellement plus intéressant quand il s’agit d’un elfe de quelques centimètres ou d’un orc bourru.

Quitter la version mobile